De l’avis général, avec Tintin au Tibet, Hergé signe sa grande œuvre. Ce sera donc avec le plus grand respect que nous l’aborderons !
Si les Studios Hergé se portent à merveille – ils sortent un album tous les deux ans – Georges Rémy traverse une douloureuse crise. Son mariage bat de l’aile. Il a retrouvé l’amour avec la jeune Fanny, mais ne parvient pas à se séparer de Germaine. Il dort mal, prend note de ses rêves, consulte des psychanalystes et cherche une idée d’album. « À un certain moment, dans une sorte d’alcôve d’une blancheur immaculée, est apparu un squelette tout blanc qui a essayé de m’attraper. Et à l’instant, tout autour de moi, le monde est devenu blanc, blanc. » Il a rêvé de blanc, il enverra Tintin à l’assaut des neiges éternelles du Tibet. Le raccourci est un peu rapide, mais il tient le début de son histoire.
Il reprend le personnage de Tchang, le place dans un avion qu’il envoie percuter l’Himalaya. Tintin entend un appel au secours… qui lance l’aventure. Une fois n’est pas coutume, le scénariste n’hésite pas à multiplier les phénomènes paranormaux : l’appel télépathique « longue distance », les visions et les lévitations du moine Foudre bénie et l’apparition, tardive (page 55), du fameux yéti.
Le dessinateur multiplie les audaces. Vous apprécierez les cases toutes en hauteur pour le capitaine Haddock en péril (pages 40 et 41) ou, au contraire, horizontales et superposées (page 15), toujours avec le capitaine. Par la multiplication des personnages et des gags, la scène du cri de détresse rappelle celle de la traversée du village de L’Affaire Tournesol (page 2). Je vous propose un dernier « strip » mémorable, celui de Tintin, Haddock et Tharkey, minuscules et vus de dos sous trois angles différents, face à l’immensité de la chaine de montagnes (page 35). Mais, objectivement, tout est beau, les cadrages et les perspectives, les positions et les regards… la montagne et le rire des enfants, les hésitations de Milou et la détresse du yéti.
Pour la première fois, le scénario d’Hergé s’affranchit de toute menace extérieure ; mieux, il s’interdit les armes à feu. Tintin n’affronte que le scepticisme de ses proches, la fatigue, le découragement et l’apparente hostilité de la nature. Les éléments fantastiques distillés ne nuisent pas au réalisme de l’album. L’aventurier infatigable et outrageusement chanceux s’est mué en jeune homme audacieux contraint d’aller au bout de ses forces. Plus surprenant encore, l’abominable homme des neiges se révèle être, comme Ranko, le gorille de L’Île Noire, ou, pour rester dans le registre « grand singe », tel le King Kong d’Edgar Wallace et Meriam C. Cooper, une créature tourmentée et, dans sa candeur, plus qu’humaine.
Avouons que l’on rit un petit peu moins que d’habitude. Inutiles, les Dupondts sont restés en Belgique. Même s’il nous sert une magnifique séquence onirique, le rôle de Tournesol est réduit à la portion congrue. Le capitaine porte seul les séquences comiques, avec une série de belles colères, une vache rétive, un piment rouge « volcanique », des grimaces et des chörtens à prendre, si possible, par la gauche.
À défaut d’enquête à mener, de trésor à chasser ou de torts à redresser, il sera question d’amitié et de don de soi. Sur la seule, mais intime, conviction que son ami Tchang est en danger de mort, Tintin s’envole pour l’Inde ! Haddock grogne, refuse de le suivre, mais le rejoint dans l’avion. Mieux, il n’hésitera pas à faire don de sa vie. Or, pour Hergé, l’amitié, une fois traduite en actes forts, est contagieuse : Tharkey rebrousse chemin et les sauve, les moines s’élancent à leur rescousse, et ce, jusqu’au terrible Migou qui laisse Tintin lui ravir son seul ami. Ainsi, si l’amour semble fuir Hergé et Tintin, l’amitié demeure une valeur sûre. De fait, l’amitié peut tout.
Stéphane de Boysson
En 1964, j’avais 10 ans, ma mère reçoit un coup de fil que l’avion de mon père s’est écrasé dans la banlieue de Londres. Suit une journée d’angoisse terrifiante, alors que je lisais « Tintin au Tibet ». L’image de l’avion disloqué dans la neige m’a poursuivi toute ma vie. Tard dans la nuit, mon père débarque, à la fois hilare et soulagé : il avait raté son avion suite aux encombrements de la City et a dû prendre un autre vol. L’image de la découverte de Tchang en loques illustre exactement mon état d’esprit de l’époque. C’est le seul album de Hergé que je lis et relis avec une certaine angoisse.
Quelle belle et terrible histoire à la fois ! Merci de l’avoir partagée avec nous !
je suis entrain de le lire actuellement avec ma fille de 8 ans..belle coïncidence !… Merci
Initier ses enfants à Tintin est un beau cadeau qu’on leur fait !J’ai fait de même avec chacun des miens, et il en est resté à chaque fois quelque chose !
J’aime tous les Tintin. Je suis devenue tintinophile. J’adore son côté aventurier justicier. Il gagne toujours à la fin. C’est un très grand humaniste et toute la philosophie du monde est contenu dans les albums de Tintin.