Arte avait donc invité Fat White Family hier soir au Ground Control, en plus des Lemon Twigs et de Los Bitchos : bien leur en a pris, car les Londoniens ont prouvé une fois encore et en seulement 35 minutes leur intensité scénique supérieure !
Pour ceux qui ont loupé le passage de la Fat White Family, l’un des groupes les plus frappants, et sauvages aussi pour le coup, de notre époque, à Lévitation, puis à la Cigale, Ground Control, l’émission d’Arte, offre une session de rattrapage. Comme les Lemon Twigs sont compris dans le package, on ne voit pas pourquoi on refuserait cette jolie proposition… même s’il faut aussi sacrifier aux rituels d’une retranscription télévisée (applaudir quand on nous le demande, laisser les cameramen passer, ouvrir un chemin pour que les artistes puissent atteindre la scène centrale – correctement surélevée cette fois -, supporter les interviews, etc.), on est heureux d’être là. On se sent même un peu privilégiés, en fait !
20h : A la surprise générale, c’est la Fat White Family qui ouvre la soirée… ce qui, on le craint d’emblée, ne laissera pas beaucoup de chance aux suivants. Dès le premier morceau, le classique Tinfoil Deathstar, Lias Saoudi franchit le ruban séparant le public de la scène et tétanise la foule en se roulant à nos pieds : il n’a pas fallu plus de deux minutes pour que l’intensité soit au maximum. Chapeau ! Bien sûr, Lias se plaint d’un public trop calme et va passer une grande partie des 35 minutes à nous haranguer et nous stimuler, sans même parler des bouteilles d’eau qu’il nous verse sur la tête (bon, c’est mieux que de la bière !).
Bien sûr, 35 minutes c’est bien court pour un groupe de ce calibre, mais 35 minutes de cette puissance émotionnelle, nul n’a de raison de se plaindre. La setlist est constituée de cinq titres du nouvel album, encadrés des deux crowd pleasers que sont Tinfoil Deathstar et Whitest Boy on the Beach, mais elle a surtout l’audace de passer par l’impressionnante imprécation de Religion for One, et surtout par le long monologue de Today You Become Man, sur la circoncision du frère de Lias, qui finit d’ailleurs dans une hystérie free jazz totale, avec le chanteur hurlant et gémissant, prostré en position fœtale sur la scène. On se quitte sur l’excitation punk de Whitest Boy on the Beach, évidente tuerie qui déclenche un mini mosh pit, un événement assez improbable dans ce genre de soirée. Pour finir, Lias retire les deux boules qu’il avait mises dans sa gaine et les offre généreusement au public. Bon, on ne pourra pas se plaindre que la Fat White Family soit un groupe aseptisé.
Lias disparaît alors du côté opposé où l’équipe d’Arte l’attend pour un interview – incontrôlable un jour, incontrôlable toujours. Il finit par être retrouvé, et rejoindre l’interviewer pour célébrer le brillant coup qu’aura été le Brexit (« England is mine ! », suivi d’une petite pique contre Morrissey !) et pour expliquer que pour lui, la musique est douleur. Quelque part, et dans un genre musical différent, Lias est le digne descendant d’Iggy : intense sur scène, prompt à se dénuder et brillant intellectuellement. Irrésistible et impressionnant, quoi !
21 h : Remplacement ultra-efficace et complet de la scène, morceaux d’estrade y compris, pour le set de Los Bitchos. Bon, 35 minutes, là, à l’inverse de Fat White Family, c’est un peu la durée idéale d’un set des filles, et on peut même trouver certains titres longs ou redondants. Le mélange de surf psyché, cumbia, et sonorités orientales est toujours agréablement dansant, et les filles semblent avoir voulu durcir leur jeu sur les nouveaux morceaux : elles en joueront trois ce soir, dont l’excellent la Bomba. Scéniquement, le spectacle reste joyeux, les filles s’amusent, et l’apport du guitariste supplémentaire, au jeu nettement rock, est un plus indiscutable. Le final traditionnel sur Tequila est un beau moment de réjouissance générale. Après, on ne peut pas s’empêcher de penser que le concept s’épuise.
Nos oreilles souffrent alors un maximum alors que Thomas de Pourquery, en mode pause en compagnie du régional de l’étape, massacre le Heroes de Bowie qui ne lui avait pourtant rien demandé. Accablé par cet interminable moment de grand n’importe quoi, on se dit qu’il y a des pays dans le monde où l’on emprisonne des gens pour des blasphèmes moins graves.
Du coup, ce n’est qu’à 22h30 que les frères D’Addario, après avoir sacrifié à leur tour au rituel de l’interview – très looong et passablement ennuyeux dans leur cas -, montent sur scène. Malheureusement, c’est comme pour le trafic aérien, le créneau de la diffusion télévisée est loupé, et la prochaine fenêtre sur Arte est dans 9 minutes. On demande aux Lemon Twigs de quitter la scène… ce qu’ils ne feront pas sans nous avoir interprété avant une reprise des Byrds. Un échauffement, ou plutôt un rappel avant le concert, en fait. En tout cas, c’était sympathique…
22h45 : on filme à nouveau l’entrée sur scène des frères pour la diffusion en live : ça en devient ridicule, mais bon, c’est pour la télé, alors de quoi nous plaignons nous ? The Lemon Twigs attaquent leurs 45 minutes (dix minutes de rab pour eux, les stars de la soirée…) par un My Golden Years énergique et positif, qui annonce la nature du set de ce soir : concentré en majorité sur le nouvel album – on peut dire « malheureusement », car c’est peut-être le moins convaincant de leurs 10 ans d’existence -, les frères D’Addario ne reviendront pas sur leurs œuvres d’avant 2018, ce qui est dommage. De ce dernier album, le titre le plus convaincant en live nous semblera Church Bells à la mélodie très « McCartney », tandis que In My Head est incontestablement LA perle de Everything Harmony, l’album précédent.
Le look général et l’atmosphère restent purement « Années 70s », les vocaux, dans un style Beach Boys toujours proéminent, sont impeccables, et les parties de guitare de Brian sont magnifiques. Michael, avec l’âge, fait d’ailleurs moins le clown, ce qui allège clairement la prestation scénique. Il reste les échanges d’instruments entre les musiciens, stimulants, tandis qu’on célébrera le retour sur scène de l’ami Danny Ayala, à la basse et aux claviers, souriant et décontracté. Mais, dans l’ensemble, on peut déplorer un vague sentiment d’uniformité d’une setlist qui aurait gagné à être enrichie de quelques titres plus anciens, dans un registre différent… Mais il est clair que le public du Ground Control est ravi du set. Et le final plus enlevé, plus rock’n’roll, nous permettra de terminer sur une note très positive.
C’est donc une bien belle soirée que nous aura offerte Arte, et hormis quelques désagréments liés à la « mise en scène » de l’événement pour sa diffusion, on ne peut que féliciter l’émission Ground Control pour la qualité technique de la soirée : scène rehaussée, lumières parfaites, son excellent, « en 360 degrés » autour de la scène placée centralement. Une soirée à revoir, forcément, et à savourer sur nos petits écrans !
Texte et photo : Eric Debarnot