Manu Larcenet met en bulles et en images La Route, le roman culte de Cormac McCarthy qui avait obtenu le prix Pulitzer en 2007. Un pari osé mais un album réussi et très fidèle à ce monument littéraire.
Manu Larcenet avait déjà lâché en 2009 une petite bombe dans le petit monde la BD avec Blast : exit les couleurs acryliques et rutilantes, Manu nous proposait quatre gros albums au noir & blanc éclatant, expressif et même lumineux. Déjà, c’était une histoire de SDF errant sur les routes. Après avoir adapté le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, il était somme toute assez logique que Manu Larcenet s’attaque au roman culte de Cormac McCarthy, La Route, qui avait déjà été porté sur écran en 2009 par John Hillcoat avec Viggo Mortensen.
De toute évidence, la noirceur du dessin de Larcenet était faite pour illustrer ce sombre récit post-apocalyptique. La fin du monde a eu lieu. On ne sait pas trop comment et cela commence même déjà à dater, d’une bonne dizaine d’années. Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant. Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes sorties de Mad Max.
Un récit dans lequel il n’y a plus de noms, presque plus de mots, il n’y a que l’homme et le petit, une solitude insondable, plus personne à qui parler et le roman de McCarthy était avare de dialogues, rempli de silences et de non-dits.
Voilà qui laisse toute la place à Larcenet pour déployer son talent de metteur en scène et faire en sorte que le dessin devienne lui-même le récit – un beau challenge pour un bédéaste. Sans cartouches de texte « off », sans bulles explicatives, c’est uniquement grâce à l’enchaînement des cases et à la force suggestive des dessins que le récit est retranscrit dans un noir et blanc sale et charbonneux à l’image de ce monde de cendres apocalyptiques, parfois teinté de sépia ou de teintes orangées. Les rares phylactères jaillissent de cet univers pour mieux souligner les non-dits des rares dialogues entre l’homme et son petit.
Le génie de McCarthy c’est d’avoir écrit son bouquin avec une seule image, celle de cet homme et son petit sur la route avec leur caddie, une image qu’il nous repassait sans cesse, encore et encore. Mais quelle image puissante ! Une image qui lui a valu un Pulitzer, une image si pleine de sens désespéré, si lourde de terribles sous-entendus, qu’elle imprégnait durablement le lecteur et même tout le monde littéraire.
Une image dont s’est emparé avec brio Manu Larcenet dont les planches arrivent à nous faire partager le quotidien de ces deux êtres en perdition et ressentir les souffrances (et les trop rares joies) de ces corps amaigris. En un peu plus de 150 pages, l’auteur prend tout le temps de développer fidèlement le roman avec ses scènes les plus notables : le coca, le revolver, le bunker… tout y est.
Le pari était osé, voire risqué, mais avec la réussite et la reconnaissance des lecteurs, le succès est au rendez-vous : l’album a déjà été réimprimé et cela dans plusieurs langues et l’album se glisse dans les meilleures ventes d’ouvrages, tous livres confondus. Larcenet avoue tout de même un regret : « Ne pas avoir pu remettre cet album à Cormac McCarthy lui-même. » puisque l’auteur américain est décédé en juin dernier.
À noter : les éditions Points (avec l’arrivée de Thomas Ragon transfuge de chez Dargaud) ont eu la bonne idée de rééditer le roman de McCarthy en version « collector » avec quelques planches illustrées tirées de la BD, histoire de doubler le plaisir avec la (re-)lecture du roman !
Bruno Ménétrier