Alors que le monde semblait s’effondrer dans la foulée des résultats des élections européennes, Jeff Rosenstock a offert à un Point Ephémère bondé et extatique une belle parenthèse enchantée, joyeuse et positive.
Jeff Rosenstock est à Paris, et tout le monde a l’air de s’en moquer. Bon, j’exagère, car le Point Ephémère est sold out, et le public qui s’y presse est jeune, ce qui change agréablement par rapport aux troupes grisonnantes qui se pressent d’habitude aux concerts punks et garage. Mais quand même, on a l’impression qu’une grande partie des mélomanes parisiens n’ont pas encore pris la mesure ni de l’homme, ni de l’événement !
20 h 30 : on commence avec Walter Etc., une sympathique bande de surf punk rockers californiens qui se disent très impressionnés de jouer pour la première fois à Paris. On utilise le mot « punk », mais leur musique, très mélodique et pas du tout simpliste, a des atours de power pop passée à la moulinette. Dans la grande braderie des étiquettes, ils se qualifient apparemment eux-mêmes de groupe de folk surf, quoi que ce soit que ça signifie. Il y a en tout cas une belle énergie sur scène, avec deux guitares qui font le taf et surtout un batteur assez fantastique. Les chansons dépassent rarement les deux minutes et ont tendance à se terminer par surprise, et le chant de Dustin Hayes est joliment posé. A noter aussi, au milieu du set, une chanson baroque, purement pop, qui nous est présentée comme appartenant à une formation précédente, Walter Mitty and His Makeshift Orchestra (en fait, le même groupe mais avec son nom complet !). Sinon, les musiciens affectent la décontraction, balancent les animaux gonflables de Jeff dans le public, font des vannes sympathiques, et terminent leur set de 30 minutes en de bousculant en riant sur scène. Pourquoi pas ? On ne peut pas s’empêcher de penser qu’un peu plus de concentration et d’intensité rendrait service à leur musique, mais qu’est-ce qu’on en sait, après tout ?
21h15 : entrée sur scène originale de Jeff Rosenstock, la sono diffuse un titre que tout le monde (ou presque) chante en chœur pendant que Jeff et ses quatre musiciens s’installent pour terminer les dernières mesures du morceau. Après vérification, il semble que ce soit une chanson de System of a Down… Mais ce qui est important, c’est que, après 6 ans d’absence de Jeff des scènes parisiennes, (presque) tout le monde dans le Point Ephémère est capable de chanter les paroles de (presque) toutes ses chansons à lui.
Le set démarre à 100 à l’heure dans un enthousiasme général qui semble infatigable (bon, l’honnêteté nous oblige à admettre qu’il y a beaucoup d’Américains dans la salle). La majorité des titres sont extraits de l’excellent HELLMODE, le dernier album de Jess, ce qui est bien normal. Le bassiste de Walter Etc. est le premier à se jeter dans la fosse depuis la scène pour un slam. Mais sur scène, ça artille et ça rigole en même temps. Jeff est clairement un mec gentil qui prêche le respect mutuel dans le moshpit. Le seul à faire la gueule sur scène, c’est le bassiste, qui, en plus, lorsqu’il intervient au micro, dit des conneries pas très sympathiques… ce qui oblige Jeff à le reprendre et à le faire… huer par le public ! Ambiance bizarre quand même entre eux… on remarque en revanche la jovialité et l’enthousiasme du musicien multi-instrumentiste au fond, qui joue de l’air guitar comme un fou quand il n’est pas occupé avec un vrai instrument !
Au bout de 50 minutes environ, on savoure le beau break quasi acoustique de HEALMODE ; c’est une chanson magnifique, il faut le dire, avec son touchant final : « Perfect lazy days where all you need is me and all I need is you » (Des journées parfaites à glander, où tout ce dont tu as besoin, c’est de moi, et tout ce dont j’ai besoin, c’est de toi !). Il annonce une rupture de ton du concert, après tout ce punk rock jovial et « anthémique », et la seconde partie de la soirée, plus ambitieuse musicalement, débute avec deux titres carrément post punks, sombres et durs, avant que les chansons ne deviennent plus classiques, longues et complexes. Mais le public suit toujours, quel que soit le genre musical abordé par ce grand touche-à-tout qu’est Jeff Rosenstock, et les près de 15 minutes finales de 3 SUMMERS transforment le Point Ephémère en grande fête joyeuse : Jeff finit par monter dans les cintres jouer du saxo pendant que tout le monde en dessous chante des « oh oh oh »…
Rappel de deux titres, tous deux très aimés du public : Pash Rash, et surtout We Begged 2 Explode, un favori des fans réclamé sur les pancartes brandies depuis la fosse. C’est un final extatique et généreux, qui consacre l’amour réciproque entre Jeff et son public. Une heure et demie de set, ce qui n’est pas courant quand on joue avec une telle intensité, bravo !
Le punk rock gai, feelgood et bienveillant des New Yorkais nous a donc servi de parenthèse enchantée avant de retourner à la triste réalité de cette soirée d’élections européennes. Une réalité bien dure et déprimante avec le triomphe du RN, et la dissolution de l’Assemblée nationale, dans la foulée, par Macron ! Ils sont devenus fous, Jeff, reviens nous vite nous mettre du baume au cœur !
Texte et photos : Eric Debarnot