Franck Thilliez laisse de côté son flic fétiche, Sharko, pour nous emmener dans le Grand Nord Canadien le temps d’un polar enneigé et glacé. C’est froid, dur et sans concession. N’oubliez pas vos doudounes !
Franck Thilliez cède aux sirènes du grand nord après d’autres auteurs de polars français comme Ian Manook en Islande ou Olivier Norek à Saint-Pierre-et-Miquelon … qui ont suivi sur la neige les traces laissées par Olivier Truc ou Mo Malo.
Norferville a beau être un lieu imaginaire (mais inspiré de lieux hélas bien réels), on s’y croirait ! Comme de coutume, cet auteur soigne le décor de son polar d’une plume très suggestive : nous voici tout au nord du Québec, à 700 kilomètres de Montréal, dans l’une des gigantesques mines ouvertes sur la terre des indiens Innus (le Nitassinan). Les polars de Thilliez sont toujours très documentés et l’on apprendra que les colons blancs y sur-exploitent la Fosse du Labrador qui contient un minerai de fer de grande pureté. « […] Norferville restait ce qu’elle était : un caillou de fer dans un désert de glace. […] Norferville, c’est un autre monde. Il faut le voir pour le croire. Un territoire de glace coupé de tout où des Blancs et des autochtones essaient de cohabiter avec, entre eux, l’exploitation d’une gigantesque mine de fer. »
Dans ce lieu glacé difficilement accessible (et même pas du tout, en cas de tempête de neige : un endroit idéal pour un huis-clos à ciel grand ouvert !) cohabitent bien difficilement les communautés de blancs et d’indiens. Au milieu, « les pommes » : rouges dehors, blancs dedans, les métis rejetés par les uns comme par les autres. Il sera beaucoup question de violences faites aux indiens et surtout aux femmes indiennes : quelques blancs, tendance suprémacistes, sont adeptes de la « cure géographique » (starlight tour au Canada anglophone), une pratique que les femmes autochtones ne dénoncent pas toujours. Par honte ou par peur. « […] Un dicton dit qu’on a tous, ici, du sang indien. Si ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. »
Dans cette « ville » minière de Norferville, au fin fond des plaines glacées du Québec, une jeune française est retrouvée dans la neige, sauvagement assassinée et mutilée. Son père Teddy Schaffran (un criminologue privé, tendance profiler) débarque de France avec son passé tourmenté. Sur place, Noémie Rock, une fliquette métisse est chargée de l’enquête dans ce coin perdu où elle n’a pas de très bons souvenirs. La rencontre de ce duo d’enquêteurs est prometteuse.
Franck Thilliez arrive ici à nous faire ressentir le froid : « Je suis fasciné par le froid, par la manière de le décrire, parce que c’est vraiment une sensation particulière, d’autant plus quand il est omniprésent. C’est une façon d’emprisonner les personnages, et mes lecteurs. […] J’ai toujours eu le fantasme d’écrire une scène de blizzard. »
Dans ce décor idéal, l’auteur souffle donc le froid d’une nature déchaînée aussi violente que les hommes qui l’habitent et le lecteur frissonne (c’est un thriller !) en pestant contre ses moufles, pas très pratiques pour tourner les pages du bouquin. « […] — Moins 18 °C. C’est la température de la mort douce. Il paraît que, quand on reste sans bouger trop longtemps sous cette température, il y a, à un moment donné, quelque chose d’agréable qui vous enveloppe, votre cerveau se met à déconner et vous enlevez vos vêtements sans vraiment vous en rendre compte. »
Comme à son habitude, Franck Thilliez lorgne du côté du fantastique en convoquant ici la légende du Windigo (qu’on connait depuis Joseph Boyden et d’autres auteurs), ce croquemitaine indien inventé peut-être pour faire peur aux enfants mais plus sûrement pour lutter contre le cannibalisme qui a pu sévir jadis en cas de famine.
Ici la violence de la nature et du froid fait écho à celle des hommes. Des hommes qui n’aiment pas les femmes.
Un polar très dur et sans concession – c’est du Franck Thilliez !
Un roman très réussi, documenté et dépaysant, qui sort de la série habituelle avec le duo Sharko / Hennebelle et qui dénonce avec efficacité des comportements qui ne font guère honneur à la gent masculine. Tout à fait dans l’air du temps.
Bruno Ménétrier