Altérant un peu son principe en injectant une dose de confusion familiale évoquant la brillante série allemande Dark, tout en restant abstraite et mystérieuse, Outer Range confirme avec sa seconde saison sa magnifique singularité.
La première saison de Outer Range, il y a 2 ans, avait fait son petit effet : imaginez la première greffe vraiment réussie – après plusieurs tentatives assez consternantes (même si la version cinéma de Westworld n’était pas si mal…) – de la SF sur le western, avec un casting de haut niveau (Josh Brolin, Lili Taylor et Imogen Poots en premier lieu). Et dans une atmosphère de tragédie familiale quasi shakespearienne, magnifiée par une mise en scène pour une fois de niveau cinématographique. On n’y comprenait pas grand chose, et c’était tant mieux : irrationnel et fascinant, Outer Range était une sorte de trou noir lui-même, où disparaissait notre esprit critique, happé par la fascination inhabituelle que générait cette peinture d’une réalité « hors du temps » – celle des éleveurs de bétail contemporains que peu de choses semblaient distinguer de leurs ancêtres cow-boys – qui se révélait peu à peu comme phagocytée, justement, par un flux temporel incontrôlable.
L’annonce d’un changement de showrunner pour la deuxième saison (Brian Watkins, le créateur de la série, aurait été remplacé par Charles Murray, même si l’ImDB reste imprécise sur ce fait) était du coup assez alarmante, indiquant potentiellement le souci de la part d’Amazon de faire de cette série coûteuse un spectacle plus consensuel, plus accessible. La bonne nouvelle est qu’il n’en est rien, que les aspects quasi-métaphysiques de Outer Range ont été heureusement préservés, et que la magie fonctionne toujours… même si, de fait, la nature de la série change légèrement : on ne peut s’empêcher de reconnaître quelque chose de Dark dans ces histoires entremêlées de voyageurs dans le temps qui réussissent à générer au sein des deux familles d’éleveurs de bétail antagonistes (soit un vieux sujet classique dans le western) des drames inextricables. Si Outer Range ne parvient pas à égaler le génie de la série allemande, elle s’en approche parfois en terme de vertige existentiel, et ce n’est pas rien.
Nous ne dirons rien ici de l’intrigue, régulièrement stupéfiante, de cette seconde saison, pour préserver le plaisir de la découverte ; tout n’est quand même pas du même niveau et certains fils narratifs semblent même faibles, comme si les idées de la première équipe de scénaristes s’étaient égarées dans la transition.
Le plus bel épisode de la série toute entière est le 4ème, Ode to Joy, qui respecte pourtant en tous points les codes du western classique avec son affrontement entre les « injuns » qui commencent à être confinés dans leur réserve et les colons racistes et haineux, et se conclut sur un « twist » sensationnel.
On appréciera aussi que la nouvelle équipe ait un peu levé le pied sur le choix d’une image perpétuellement sombre, inconfortable pour le téléspectateur, et on est désormais impatient de regarder une troisième saison de ce petit bijou qu’est Outer Range. A condition que son bail soit renouvelé !
Eric Debarnot