Tous les albums de Tintin : 21. Les Bijoux de la Castafiore (1963)

Véritable objet conceptuel, quasi avant-gardiste à sa parution en 1963, Les Bijoux de la Castafiore est l’un des Tintin sur lequel on a le plus disserté. Excès d’intellectualisme ? Non, il le mérite !

Les bijoux de la Castafiore Image
© Casterman / Hergé

Il est inutile de dire que la lecture des Bijoux de la Castafiore quand on a à peine dix ans et qu’on est fan absolu des incroyables aventures de Tintin à travers la planète, voire dans l’espace, s’apparente à une terrible désillusion, et que l’incompréhension est totale.

Les bijoux de la Castafiore couvertureBien entendu, une fois atteint l’âge adulte, et peut-être influencé par les critiques généralement dithyrambiques sur cet album « adulte » de Hergé – le seul véritablement « expérimental » dans son œuvre -, on apprend à, sinon apprécier, du moins comprendre ce que son créateur a voulu faire ici : peindre un monde (déjà) devenu trop petit, d’où l’aventure et le mystère ont quasiment disparu, repoussés par la trivialité des médias, de l’affairisme égoïste, et surtout du désintérêt croissant manifesté par l’être humain envers son semblable.

On peut aussi lire Les Bijoux de la Castafiore comme la matérialisation de la dépression qui fut le fardeau de Hergé durant la majeure partie de sa vie : on ne communique plus, même au sein de « sa famille », on traîne à longueur de temps une vague tristesse qui pèse de plus en plus, on tourne en rond, et le moindre objet devient un obstacle au fonctionnement minimum de la vie quotidienne, voire même un danger. Dans « Les Bijoux », si on tombe, on peut – pour la première – fois se casser le pied, et être condamné à la damnation de l’immobilité, qui empêche d’échapper à ses bourreaux.

Tout cela serait déjà culotté de la part d’Hergé s’il ne nous proposait en outre une approche furieusement conceptuelle de la narration, puisque l’énigme policière est désamorcée en permanence, n’advient jamais au fil de fausses pistes et de coups de théâtre misérables, jusqu’aux dernières pages, où elle sera rapidement résolue et se révélera d’une trivialité absolue.

Au milieu de cette Bérézina, Tintin reste une figure exemplaire, mais ici curieusement touchante, s’accrochant à la fois à la raison et à l’intuition, mais également à une position légèrement en retrait du chaos ambiant pour survivre au milieu des embûches répétées qui menacent tous les habitants de Moulinsart (sans même parler du fait qu’il brise le quatrième mur sur la couverture, mettant ainsi en perspective les pauvres péripéties d’une vie qui, quelque part, se termine… !).

Bref, Les Bijoux de Castafiore est un remarquable OVNI, qui ne fournit certes pas beaucoup de plaisir à son lecteur, mais lui offre par contre des abimes de réflexion.

Quant à la morale de cette non-histoire, personnellement, je l’adore : « les oiseaux sont des salauds ! ».

Eric Debarnot

Les Bijoux de la Castafiore
Textes et dessins : Hergé
Éditeur : Casterman
62 pages
Parution en album (couleurs) : 1963

1 thoughts on “Tous les albums de Tintin : 21. Les Bijoux de la Castafiore (1963)

  1. Nietzsche avait écrit que « l’homme a dérobé aux animaux leurs vertus : c’est ce qui fait que de tous les animaux, c’est l’homme pour qui la vie a été la plus dure. Il n’y a plus que les oiseaux au-dessus de lui, et si l’homme apprenait à voler, oh malheur ! Jusqu’à quelle hauteur s’envolerait son goût de la rapine ! »

    Philippe Katerine, lui, a dit avoir peur des oiseaux « qui peuvent nous chier dessus, alors que nous ne pourrons jamais chier sur eux. »

    Le message est clair, le consensus est évident.

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