Avec La petite vadrouille, Bruno Podalydès signe un petit film : il y entraîne sa bande habituelle de copains et quelques autres dans une croisière fluviale, prétexte à une réflexion à la loufoquerie peu convaincante sur le temps qui passe, l’amitié, et les rapports de classe.
Embarquer en compagnie de Bruno Podalydès et de sa joyeuse bande d’amis, ça ne se refuse pas, fût-ce pour une « petite vadrouille ». Une histoire d’arnaque et d’amitié, sur fond de rapports de classe, dans le cadre d’une croisière fluviale sur « La Pénichette ». Oui, le bateau est modeste, comme la vadrouille, comme le film qui, sans prétention, se présente comme une série de variations sur le temps qui passe et qu’il faut savoir prendre, sur les amitiés qui durent et le monde qui change. Des sujets graves, mais, on le sait, dans l’univers de Podalydès, la gravité s’accommode volontiers de la légèreté, de la loufoquerie, de la poésie… avec, pourtant, plus ou moins de bonheur. Et cette » petite vadrouille », hélas, s’est révélée moins plaisante qu’on ne l’espérait.
Une sympathique équipe de bras cassés, perclus de dettes. Un patron en mal d’amour – Franck – qui demande à sa secrétaire – Justine – de lui organiser un week-end romantique et original pour séduire la femme qu’il convoite. Le mari de ladite secrétaire – Albin – qui flaire immédiatement la bonne affaire, celle qui les fera sortir de la panade, lui et ses potes, vu que le patron « a filé 14.000 boules » en espèces à sa femme. Mais surprise : c’est de Justine que Franck est amoureux… Et c’est parti pour un récit joyeusement amoral, plein d’imprévus, d’entourloupes et d’embrouilles, sur cette « Pénichette » naviguant au fil d’un paisible canal et où ils sont finalement six à s’entasser, puisqu’en dehors de Franck, Justine et Albin, y ont également pris place Sandra, l’improbable hôtesse de bord, Jocelyn, le fier capitaine, et Alfius, le jeune mousse bondissant.. .
La croisière fluviale, c’est avant tout la découverte d’un plaisir régressif, celui d’un rythme très lent – cinq milles de l’heure – auquel le dynamique chef d’entreprise n’est guère habitué…Régressives aussi les chansons qui l’accompagnent, au parfum d’aventure et de romantisme, l’increvable « Santiano » d’Hugues Aufray et le nostalgique « Elle était si jolie » d’Alain Barrière. Pas question pourtant de rêvasser : chacun doit tenir son rôle, improviser souvent, surveiller le patron épris de sa secrétaire, et surtout ne pas manquer une occasion de lui soutirer de l’argent. Situations incongrues, personnages cocasses, on est dans l’univers de Tati, bien plus que dans celui de Gérard Oury malgré le clin d’oeil du titre, dans celui de la BD, qu’affectionne tant Podalydès .. Dans un monde aussi, où, comme les enfants, sur le mode héroï-comique, on fait « comme si », on joue à être un capitaine qui se prend pour un amiral…Un monde poétique enfin, où une demoiselle sur une balançoire suspendue à un pont se laisse glisser sur la péniche avec une grâce infinie…
Derrière les gags récurrents, le propos, cependant, est sérieux, chargé d’inquiétude et de mélancolie.. Cette croisière est marquée du sceau de la nostalgie, celle d’une époque où l’on prenait le temps de vivre, de chanter, de cultiver l’amour et l’amitié. Le regard plein de tendresse du réalisateur sur ces personnages en décalage avec notre monde et si proches encore de l’enfance, devient le nôtre, de même qu’il parvient à rendre parfois émouvant ce patron un poil vulgaire, qui a bien du mal à se débarrasser de ses préjugés de nanti. Tout semble l’opposer aux autres et pourtant se dessine au fil de l’eau l’utopie d’un monde harmonieux où tentent de se redéfinir les rapports amoureux, les rapports de classe, les rapports de génération. « SI tout est fini, alors tout est possible » : s’ils ne peuvent que constater le déclin du vieux monde, nos « boomers » observent avec curiosité et espoir la nouvelle génération, celle des jeunes gens qui ont fait de l' »Épilogue » leur territoire…
De ce matériau, de tous ces possibles, Bruno Podalydès, ne tire pas, hélas, le meilleur parti. Sans être indigne, La petite vadrouille est un film passablement poussif et paresseux : scénario pauvret, rythme mollasson, gags aussi répétitifs que les écluses, « bons mots » qui tombent à l’eau, clichés éculés sur les patrons, les jeunes ou le fantasme du ménage à trois… J’ai souri parfois, jamais ri ; je me suis presque ennuyée et n’ai été que rarement touchée par ces personnages à qui, pourtant, Sandrine Kiberlain, Daniel Auteuil, Bruno Podalydès lui-même, son frère Denis et les autres offrent tout leur talent. Reste, comme à chaque fois, le plaisir de retrouver l’univers familier du réalisateur et de sa bande de copains que l’on voit vieillir de film en film. Ce qui ne nous empêche pas, depuis quelque temps, de nous demander où est passée la magie de Liberté-Oléron et de Comme un avion...
Anne Randon