Manu Scordia nous partage sa colère face à l’indifférence des grands médias et des opinions politiques au sort des migrants.
Dans la nuit du 17 mai 2018, une camionnette chargée de migrants est prise en chasse par la police sur une autoroute belge. Peu de temps après, Mawda, une petite fille de 2 ans, est tuée d’une balle en pleine tête.
Ses parents ont fui le Kurdistan irakien en 2014 avec leur premier fils pour échapper à un mariage arrangé. S’ils se déclarent menacés de mort par leurs familles, ils se sont vu refuser le droit d’asile par les autorités allemandes : l’Irak est alors un pays officiellement en paix. Commence pour eux une longue période d’errance en Europe, ponctuée par une seconde naissance. Découragés, ils confient leur sort à un réseau qui leur promet un passage en Angleterre. Hélas, leur fille est tuée.
Le jour même, policiers, juges et journalistes, manifestement de connivence, laissent entendre que Mawda serait morte d’un traumatisme crânien suite à l’imprudence de ses parents. Les parents effondrés sont soutenus par une avocate et des réseaux associatifs. La contre-enquête du journaliste Michel Bouffioux, de Paris-Match Belgique, dévoilera les incohérences de la justice belge.
Manu Scordia est outré par le traitement réservé en Europe aux migrants et par l’indifférence des opinions à leurs souffrances. Dans sa première bande dessinée, Ali Aarras (2019) parue chez Vide Cocagne, Manu Scordia racontait la vie d’un belgo-marocain, accusé à tort d’activités terroristes, incarcéré et torturé durant 12 ans au Maroc.
Son travail est solide, sérieux et argumenté. Au fils des pages, il confronte les témoignages et met les policiers face à leurs contradictions et à leurs mensonges. Son dessin semi réaliste est rapide et expressif. Il ne recherche pas tant à rendre la beauté, que l’efficacité et l’urgence. Il illustre, alerte et dénonce. Ses dernières pages sont particulièrement éprouvantes quand il tente de donner la parole à la petite Mawda : « Je suis dans les bras de maman, et quand je suis dans les bras de maman… il ne peut rien m’arriver. »
Depuis, le tribunal correctionnel de Mons a condamné le policier auteur du coup de feu fatal à un an de prison avec sursis et le chauffeur de la camionnette à quatre ans de prison ferme. La famille de Mawda a reçu des papiers. Bienvenue en Europe.
Stéphane de Boysson