Dans la droite ligne des saisons précédentes, la conclusion de Sweet Tooth, fable apocalyptique très noire repeinte en récit largement feelgood, échoue à traduire à l’écran la force des idées qu’elle véhicule. Un échec sans appel.
Même si l’on n’a pas lu le comic book de l’auteur canadien Jeff Lemire, on peut facilement imaginer que sa fable apocalyptique décrivant l’élimination rapide de l’humanité toute entière par une pandémie (« The Sick ») et son remplacement par une nouvelle « race », hybride (un mélange humains-animaux), était un avertissement, d’ailleurs écrit avant le Covid, et une réflexion écologique sur le mal que l’homme a fait à la planète. D’ailleurs, il est répété plusieurs fois au cours de cette troisième saison que « l’homme est la maladie », et la « pandémie est le remède » ! Soit un message fort, et clair, probablement trop sombre et déprimant pour une fiction Netflix destinée au grand public, voire aux familles.
Depuis la seconde saison, il est clair que les scénaristes de Sweet Tooth peinent à trouver le juste équilibre entre la noirceur de leur sujet et la nécessité de ménager quand même leurs téléspectateurs : on sait bien que les Etats-Uniens sont, dans leur large majorité, hostiles aux préoccupations écologiques, et que nul récit, aussi alarmiste soit-il, ne doit se terminer sans happy end, même totalement improbable. La saison 3 de Sweet Tooth, plus encore que la seconde, est donc une démonstration de l’incapacité de ses auteurs à gérer l’ambigüité de leur matériel, autant qu’à accepter les conséquences logiques de leur histoire. Comme le comic book, l’aventure de Sweet Tooth, le premier hybride né suite à des événements mal expliqués ayant impliqué sa mère scientifique, se termine par un retour à l’origine de la maladie comme de l’hybridation, une zone désolée du nord de l’Alaska où se trouvent et une station scientifique et une grotte mystérieuse gardée par une créature effrayante : gentils (Sweet Tooth, son protecteur Big Man et leurs amis) comme méchants (le Docteur Singh, et une famille de survivants particulièrement belliqueuse menée par Madame Zhang) veulent trouver cette grotte pour « résoudre » le problème, chacun à sa manière.
Bien, cinq des huit épisodes racontent le voyage vers l’Alaska, accumulant des invraisemblances encore plus énormes que celles qui ont déjà largement gâché la seconde saison, et les trois derniers racontent l’affrontement entre bons et méchants autour d’un « arbre magique » d’où coule le « sang de la terre ». La violence de ces trois derniers épisodes (avec une poursuite en camion qui louche très maladroitement vers Mad Max) est en soi intéressante, tout autant d’ailleurs que l’ambiguïté des deux personnages de « méchants » (aussi bien Adeel Akhtar que Rosalind Chao sont excellents, et sauvent de nombreuses scènes simplement par leur présence). Malheureusement, le sujet « fantastique » de la source de la pandémie et de l’hybridation est un complet WTF, qui plonge franchement dans le ridicule, et comme on le craignait, en dépit de quelques morts bien senties, Sweet Tooth se clôt sur un compromis absurde, et sur des scènes bucoliques à vous faire grincer des dents.
La déroute est donc quasi-totale, et on n’arrive même plus à apprécier les quelques points forts de la série (les paysages, la mise en scène souvent efficace…).
Eric Debarnot