Rose Glass explore à sa façon l’Amérique white trash en y confrontant romance queer et féminisme badass. Entre étreintes moites, giclées de sang et injections de stéroïdes, Love lies bleeding suit son bonhomme de chemin de polar plouc sans susciter le moindre engouement.
Prenez un (gros) soupçon de Bound, LA référence en matière de thriller lesbien des sœurs Wachowski, ajoutez-y une ambiance à la néo-noir en hommage à celle des années 80/90, saupoudrez d’un peu de Nicolas Winding Refn et de No pain, no gain de Michael Bay, de cinéma bis et même de body horror, et voilà, c’est prêt : c’est Love lies bleeding. Soit Lou, employée d’un club de gym perdu au milieu de nulle part, qui tombe raide dingue amoureuse de Jackie, une culturiste à la poursuite de ses rêves. Sauf que la famille de Lou, enfin principalement son père (Ed Harris, tranquillement flippant même avec une coupe de cheveux pas possible), va les entraîner malgré elles dans une spirale de violence et mettre leurs sentiments naissants à rude épreuve.
Quelle pouvait donc être la marge de manœuvre de Ross Glass, parmi ces moult références et intentions, pour imposer sa propre originalité ? Pas terrible à vrai dire, et cela se ressent à la vision du film qui surprend rarement, a un mal fou à captiver. Le même problème s’était posé avec Saint Maud, réussi visuellement, mais incapable de développer en profondeur ses personnages et ses enjeux narratifs inscrits eux aussi (et ce n’est pas un défaut en soi) dans une logique référentielle. On suit donc ici, avec un relatif intérêt (intérêt tenu grâce à Kristen Stewart et Katy O’Brian, sensass toutes les deux, à la musique de Clint Mansell et à la belle photographie de Ben Fordesman inspirée de celle du grand Robbie Müller), les embrouilles à la teneur rebattue qui viennent pourrir la vie de Lou et Jackie.
Glass et sa scénariste Weronika Tofilska explorent à leur façon (un peu à la Coen aussi, du genre Blood simple) l’Amérique white trash dans toute sa splendeur avec ses ploucs et ses mordus d’armes à feu en y confrontant, telles des bizarreries au sein de cet univers machiste burné, une romance queer et un féminisme badass, bien décidé à ne pas se laisser faire par un patriarcat omnipotent (et dont le contrepoint s’incarnerait dans l’attitude de la sœur de Lou, femme battue restant accroc et dépendante de son mari malgré les coups). Entre étreintes moites, giclées de sang et injections de stéroïdes, Love lies bleeding suit son bonhomme de chemin sans susciter de fol engouement, et jusqu’à ce final qui ose une incursion soudaine dans le fantastique, mais se prend franchement les pieds dans sa tentative de singularité (c’était pourtant bien essayé). Point d’orgue loupé en beauté d’un film qui, lui, n’est pas loin de l’être aussi (loupé).
Michaël Pigé