Quelle est la meilleure façon de sensibiliser l’Américain moyen aux dangers de la fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste ? Sean Ford a opté pour un récit fantastique terrifiant, imaginant des conséquences désastreuses pour une petite communauté perdue dans le désert américain…
L’extraction du gaz de schiste, si elle a permis aux USA de réduite leur dépendance énergétique vis à vis à des pays producteurs de pétrole, a généré un grand nombre de problèmes écologiques graves, liés au processus de fracturation hydraulique. Et a rapidement dégénéré en opposition ouverte, régulièrement violente, entre défenseurs de l’environnement et politiciens trumpistes ou industriels peu préoccupés par l’écologie. Shadow Hills, le roman graphique de Sean Ford, aborde cette question grave – et malheureusement classique – où les pragmatiques, voyant les bénéfices matériels de l’extraction, s’opposent à ceux qui constatent chaque jour les dégradations environnementales.
Pour ce faire, Ford a imaginé une petite ville, perdue dans l’un de ces lieux désertiques et peu hospitaliers typiques du gigantesque pays-continent que sont les USA : une ville qui serait morte faute d’activité économique sans l’installation d’une société d’exploitation minière créée par l’un des « enfants du coin ». Mais aussi une ville où apparaît un beau matin une drôle d’épidémie : une substance noire dont il est très difficile, voire impossible de se débarrasser, recouvre progressivement les habitants, jusqu’à les étouffer. Anne, une jeune femme dont la sœur jumelle, Dana, a disparu lorsqu’elles étaient enfants, va être la première témoin de l’apparition de la substance, et va mener une enquête dans l’urgence et la panique… Alors qu’un passé mystérieux que l’on pensait littéralement enfoui, va ressurgir.
Shadow Hills est un récit fantastique fascinant, entremêlant passé et présent, combinant une énigme écologique quasiment policière avec un drame familial au sein de conflits typiques d’une petite communauté où tout le monde se connaît et où les rapports sont contaminés par un historique relationnel lourd. Entre son scénario catastrophe terrifiant et de réguliers dérapages oniriques parfois assez peu compréhensibles, Sean Ford essaie de ménager une certaine cohérence, tout en racontant son histoire « à hauteur d’hommes (et de femmes) », en privilégiant le drame humain plutôt que la démonstration politique.
On dévore littéralement la première partie de Shadow Hills, jusqu’à ce que peu à peu, on perde pied entre réalité et onirisme, on s’égare entre passé et présent, on réalise qu’on a du mal à comprendre qui est qui (plusieurs personnages se ressemblent trop, sans que finalement on sache s’il s’agit ou non de la même personne !). Et on le referme avec un indéniable sentiment de déception : à partir d’une idée formidable, on a le sentiment que, faute de rigueur dans son dessin, son scénario et sa narration, le résultat du travail de Sean Ford est en dessous de ce qu’on était en droit d’attendre.
Si le message écologique est bien passé, si la conclusion – dramatique – enfonce bien le clou de l’impasse environnementale, et même sociétale – qu’est l’extraction du gaz de schiste, la lecture de Shadow Hills n’est pas le plaisir espéré.
Eric Debarnot