Sur la côte californienne, tout semble possible en cette fin des sixties, même les crimes les plus sordides. Ce wodunit intrigant nous amène au pied du Golden Gate Bridge dans l’ambiance colorée d’une époque où se trament parfois les messes les plus noires…
San Francisco, printemps 1967. Le cadavre mutilé d’une jeune femme est retrouvé dans le Golden Gate Park, avec des insignes satanistes sur le corps. Immédiatement, les soupçons s’orientent vers Yeval, un gourou sans scrupules qui organise des messes noires. C’est la jeune inspecteur Kimberly Tyler qui va mener l’enquête, sous la houlette du lieutenant Ford. Un véritable défi pour la jeune femme, qui va devoir également s’imposer face à ses collègues masculins, très portés sur les blagues sexistes…
Sous les dehors d’une enquête assez classique, American Parano, premier volet d’un diptyque policier, nous emmène dans les bas-fonds du Frisco de la fin des sixties, ces années où la jeunesse beatnik revendiquait de nouvelles formes de liberté, où les vieilles bâtisses victoriennes se paraient de couleurs psychédéliques. Le scénario d’Hervé Bourhis est plutôt abouti, avec des personnages bien campés, à commencer par celui de Kimberly Tyler, jeune inspectrice un peu coincée et fraîche émoulue de l’académie du Michigan, qui va devoir jouer des coudes dans un milieu très masculin et faire abstraction des regards lubriques et des blagues potaches. En parallèle, elle sera amenée à assumer le deuil de son ex-flic de père mystérieusement décédé, dont elle a décidé d’occuper le modeste logement dans le quartier du Castro.
Ce tome 1 ne révèle rien de sa relation avec ce père qu’elle ne voyait plus guère, constituant une zone d’ombre dans la psyché de la jeune femme, comme on le verra à la fin lors de sa confrontation avec le gourou sataniste Yeval, autre personnage de premier plan. Référence inconsciente ou pas, on pense beaucoup à Hannibal Lecter face à Clarice Starling dans une scène mythique du Silence des agneaux.
En contrepoint ironique de ce contexte de messes noires, chaque chapitre du livre s’ouvre sur les messages d’une radio locale pop, assénant à l’envi sa propagande « feel good », comme si Jésus (le sauveur toujours vivant dans les cœurs !) avait soudainement épousé la cause hippie…
Le véritable point fort de l’ouvrage est le dessin de Lucas Varela, talentueux auteur argentin dont on a plaisir à admirer la belle ligne claire très graphique, et qui reconstitue à merveille l’ambiance sixties de San Francisco.
Que ce soit pour l’élucidation de ce crime mystérieux ou les révélations concernant la relation compliquée de Tyler avec son père, cet épisode distille suffisamment de mystère pour nous donner envie de découvrir la suite. On relèvera l’excellente playlist, très variée, qui accompagne l’album via QR code, avec quelques tubes mythiques d’une époque bénie en matière de créativité musicale (Scott Mc Kenzie, The Beach Boys, Jefferson Airplane, Otis Redding, The Mamas and The Papas et beaucoup d’autres…).
Laurent Proudhon