Auteur de polars aussi drôles que violents, Mark Haskell Smith signe Mémoires, probablement le roman le plus fou que l’on aura l’occasion de lire cette année. Fausse biographie, roman d’espionnage absurde et loufoque, Mémoires part dans tous les sens, mais sans convaincre totalement.
Le nouveau livre de Mark Haskell Smith, qui est une exclusivité réservée aux lecteurs français, se présente sous la forme d’une lettre. Amy, jeune journaliste américaine, adresse un long courrier à l’éditeur Oliver Gallmeister afin de lui expliquer pourquoi elle n’achèvera pas le projet qu’il lui a confié : écrire la biographie du romancier Mark Haskell Smith. Pourtant, la jeune femme s’est attelée à la tâche avec un certain sérieux et les premières pages (de la lettre donc) détaillent les recherches entreprises par Amy. Mais elle doit vite se rendre à l’évidence : il n’y a pas grand-chose à raconter sur Mark Haskell Smith, écrivain de polars déjantés au succès très modeste. Le romancier vit en Grèce, refuse d’accorder la moindre interview et sa jeunesse, qu’Amy a reconstituée, semble assez banale, à l’exception peut-être d’une brève et très confidentielle expérience dans le petit monde du rock alternatif
Puis tout bascule : Len, le petit ami d’Amy, est kidnappé par deux hommes lourdement armés. Quelques jours plus tard, c’est Amy elle-même qui est enlevée : la jeune journaliste est aspergée d’un gaz anesthésiant. Elle perd connaissance et se réveille dans les Balkans en compagnie de deux agents très secrets qui ne vont pas tarder à lui confier une étonnante mission. A partir de là, le roman part dans tous les sens. Si vous aimez les intrigues solides et parfaitement vraisemblables, alors il vaut mieux passer votre chemin. Dans Mémoires, il est question d’étranges complots ourdis par Jeff Bezos et Elon Musk, d’un méga-yacht spatial, de plans qui seraient en la possession de Mark Haskell Smith, et de gastronomie grecque…
Amy, l’héroïne du livre que l’on tient entre les mains, se retrouve ainsi au milieu d’une intrigue totalement folle et rocambolesque, au point d’être tirée d’un mauvais pas par Julien Guérif, le traducteur français de Mark Haskell Smith, et donc de Mémoires … Vous suivez ?
Bref, Mémoires est un livre fou, fou, fou… Un peu trop peut-être. L’ensemble, souvent drôle, manque tout de même d’une charpente narrative réellement solide. Par endroits, on a un peu l’impression que le livre a été écrit au fil de la plume, au gré des idées inévitablement inégales d’un romancier à l’imagination totalement débridée.
Pour autant, le plaisir de lecture reste intact tant Mark Haskell Smith prend un malin plaisir à se moquer de lui-même, de ses livres, de ses marottes (le soleil, les calamars et les scènes de sexe !). Plein d’autodérision, Mémoires sait aussi se faire décapant et acerbe, notamment lorsqu’il évoque les aspirations des jeunes écrivains dont la seule ambition semble être d’écrire une série à succès pour HBO ou, au pire, Netflix.
Mémoires s’autorise donc à peu près tout et c’est là sa force, comme sa principale faiblesse. Aux lecteurs désireux de découvrir l’œuvre de cet écrivain très attachant, on préfèrera toutefois recommander les autres romans de Mark Haskell Smith, magnifiquement réédités par Gallmeister, et en particulier l’excellent A bras raccourci dans lequel des malfrats s’affrontent autour d’un bras coupé, orné d’un tatouage érotique… Un autre un roman déjanté mais, cette fois, parfaitement maîtrisé.
Grégory Seyer