A 87 ans, James Lee Burke ajoute une pierre à son œuvre romanesque. Dans Un autre Eden, il explore à nouveau ses thèmes de prédilection : la quête de rédemption, la lutte contre le mal et notre rapport à la nature.
L’action du précédent roman de James Lee Burke, Les Jaloux (Rivages/Noir, 2023), se déroulait au Texas et racontait l’adolescence d’Aaron Holland Broussard, sa découverte de l’amour mais aussi de la violence et du mal. Dans Un autre Eden, on le retrouve quelques années plus tard, mais dans le Colorado. Il a, pour un temps, laissé de côté ses rêves d’écriture et il mène la vie d’un ouvrier agricole itinérant, un peu comme un personnage d’un roman de Steinbeck. Aaron a trouvé du travail dans la ferme des Lowry, au milieu d’un paysage somptueux. Et sa rencontre avec la belle Joanne McDuffy lui rappelle que le bonheur reste accessible. Mais, chez James Lee Burke, le mal n’est jamais loin et il s’incarne souvent dans des hommes cruels et malveillants. Or Aaron et Joanne vont être très vite confrontés à plusieurs d’entre eux. Il y a d’abord Henri Devos, un professeur de peinture malfaisant qui rôde autour de Joanne et qui semble exercer une influence néfaste sur de jeunes drogués qui sillonnent l’état à bord d’un vieux bus. Mais il y aussi Rueben Vickers et son fils Darrel, deux individus sinistres et dangereux et dont le pouvoir semble sans limites.
Dès les premières lignes du roman, le lecteur familier de l’œuvre de Burke se sent comme chez lui. Au-delà du personnage d’Aaron que l’on connaît déjà, on retrouve ici tout ce que l’on aime chez cet auteur qui creuse inlassablement le même sillon : son lyrisme, notamment dans son évocation de la nature, ses réflexions sur la culpabilité et la rédemption et sa capacité à incarner des personnages marquants. Tous ici, à un moment ou à un autre, saisissent par leur complexité, leurs failles, leurs contradictions, leurs zones d’ombre. Aussi réussi que Les Jaloux, Un autre Eden marque une légère inflexion que l’on avait déjà perçue dans le premier volume consacré à Aaron Holland Broussard. Burke semble en effet se soucier de moins en moins de la dimension policière de ses intrigues. Ici, Aaron croise bien un personnage de flic – un flic malade, obsédé par la mort de sa petite-fille et qui ne cesse d’évoquer des cadavres retrouvés dans des champs ou des fossés. Mais le fil narratif est extrêmement ténu : l’enquête, ici, n’a jamais vraiment lieu, on suit davantage Aaron dans ses multiples confrontations aux autres et à lui-même.
Roman assez bref d’un auteur qui aime généralement déployer ses intrigues dans de longs récits tortueux, Un autre Eden baigne dans une étrange atmosphère instable. On passe très vite du calme à la violence, de l’amour à la noirceur, de l’ombre à la lumière. Et le tout s’achève de façon quasi surnaturelle – ce qui n’étonnera pas ceux qui ont déjà lu James Lee Burke et qui savent que son œuvre a souvent flirté avec le fantastique.
On pourrait donc s’étonner de cette incroyable vitalité d’un auteur qui écrit depuis plus de cinquante ans. On préfèrera en profiter pleinement et attendre avec impatience le troisième volume de cette série, Every Cloak Rolled in Blood (déjà paru aux Etats-Unis), mais aussi Clete, la vingt-quatrième enquête de son personnage le plus célèbre, Dave Robicheaux. Tant que son œuvre restera à ce niveau-là, on sera au rendez-vous.
Grégory Seyer