[Live Report] IDKHOW et Balancing Act à l’Alhambra (Paris) : éloge de la jeunesse

Avec quasiment zéro support promotionnel, Dallon Weekes, alias I Dont Know How But They Found Me, alias IDKHOW pour faire plus simple, reste un quasi inconnu en France. Un pays que ses dernières tournées européennes ont évité, à notre grande tristesse. Cette fois ci, on a ENFIN pu profiter d’un set de cet artiste hors norme, et dans des conditions excellentes, puisque le concert, programmé initialement aux Étoiles, avait été déplacé à l’Alhambra.

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IDKHOW à l’Alhambra – Photo : Eric Debarnot

Le public de IDKHOW est très jeune et, logiquement, sympathisant LGBT (une voisine dans la fosse m’a fait remarquer qu’il était discriminant et incorrect de mentionner dans ma chronique de ce concert une « majorité féminine » dans le public, ce qui revenait à faire une hypothèse simplificatrice sur le genre des personnes présentes). En tous cas, ce public a pris d’assaut la salle de l’Alhambra très tôt. L’attente se fait dans une ambiance enthousiaste, chaque membre de l’équipe technique ou musicale apparaissant sur scène ou dans la salle étant accueilli par des cris de joie. En prêtant l’oreille, on peut aussi entendre des conversations comme : « J’ai écouté Joy Division, et c’est horrible. Le chanteur ne sait pas chanter. Mon analyse est que la seule raison de leur succès, c’est que c’était un groupe de jeunes blancs cis ». On peut au moins prendre le pari que le taux de supporters de Jordan Bardella est très bas, ce qui nous rassure un peu en ces temps difficiles !

2024 06 26 Balancing Act Alhambra (6)20h : la soirée débute par Balancing Act, jeune groupe anglais – il s’agit d’ailleurs de Mancuniens ayant émigré à Londres, ce qui n’est pas si courant -, d’obédience… euh Brit Pop, dirons-nous pour simplifier. Entendez par là un groupe « à guitares », jouant des chansons bien troussées, entraînantes, bénéficiant de mélodies faciles à chanter, et jouées avec un enthousiasme juvénile qui fait plaisir à voir. Leur arme secrète est Kai Roberts, leur chanteur furieusement sexy (très masculin pour le coup, désolé pour la catégorisation indue !) et à la voix légèrement rauque et soul. Le set est varié, bien construit, et bénéficie de pointes d’énergie rock bienvenues. Mais finalement le plus mémorable est le comportement du public, frôlant l’hystérie (cris perçants, hurlements de joie, etc.). C’est assez surprenant, et le groupe lui-même semble interloqué et… ravi devant un tel triomphe, bien sûr. Le dernier titre, All Yours, est particulièrement ample et beau, mais chacune des chansons proposées ce soir aura eu quelque chose d’accrocheur, à sa manière. Balancing Act reviendront au Supersonic en septembre : l’occasion de se faire une opinion plus objective sans doute qu’avec ce public tout acquis à leur cause ?

Pendant le changement de matériel, comme pour corroborer notre réflexion, un chant s’élève de la fosse : « La jeunesse emmerde le Front National ». Même si l’écart est grand entre l’engagement politique des Bérus et la (relative) faiblesse de la conscience politique de la jeunesse en 2024, cela fait plaisir de l’entendre résonner à nouveau dans une salle de concert, en ces heures sombres pour notre pays.

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21h : Dallon Weeks, seul maître à bord du projet IDKHOW depuis la rupture avec Ryan Seaman, co-fondateur du groupe, joue en format quatuor de rock : c’est évidemment ce que nous espérions (non pas que nous n’aimions pas les synthés, mais bon, rien ne vaut de bonnes vieilles guitares électriques !). Sur cette tournée, exit donc la majorité des claviers, et les aspects résolument synthétiques ou disco de nombre de chansons de IDKHOW sont totalement gommés en faveur d’une énergie rock très directe, illustrée qui plus est par un jeu de scène dynamique et même parfois spectaculaire de Dallon et ses musiciens. Dallon joue de la basse et est soutenu par deux guitaristes et un batteur. Alternativement, lorsqu’il se concentre sur le chant, la basse est assurée par l’un des guitaristes. Dans les deux configurations, les titres du dernier album, plutôt électroniques et funky en sortent transfigurés, et rejoignent plus la forme de Razzmatazz, le disque précédent. On ne le répétera pas, mais le public est quasiment hystérique pendant la majorité du set, et les fans chantent en chœur la totalité des paroles de quasiment tous les titres : c’est à la fois très gai et très impressionnant.

2024 06 26 IDKHOW Alhambra (13)« Your front page boy is finally here / And he looks so good but he’s insincere (Ha, ha, ha) / If you speak of the devil then he will appear » (Ton garçon de couverture est enfin là / Et il a l’air si bien mais il n’est pas sincère (Ha, ha, ha) / Si tu parles du diable, alors il apparaîtra). Le démarrage du set sur SPKOTHDVL (« Speak of the Devil », donc), réflexion amère sur la gloire, est particulièrement pertinent, puisqu’il s’agit du morceau le plus rock, presque « heavy » du dernier album, GLOOM DIVISION : Dallon saute dans tous les sens, déployant une énergie impressionnante sur scène, et l’Alhambra a déjà atteint l’extase en moins de trois minutes. La setlist sera constituée principalement de chansons de trois origines différentes : les deux albums, mais aussi le répertoire de The Brobecks, le groupe que Dallon a « leadé » avant de lancer IDKHOW, composé de morceaux beaucoup plus « traditionnels ». Le hit DOWNSIDE du nouvel album est particulièrement brillant, mais le funk « princier » de GLOOMTOWN BRATS, marchant sur les plates-bandes de Two Door Cinema Club, est également impressionnant, vocalement. Dallon a admis aimer, au-delà du glam rock et de la synth pop, la Brit Pop, et on ne peut s’empêcher de trouver dans ses poses et ses expressions, lorsqu’il est sans sa basse, et donc libre de ses mouvements, quelque chose du Jarvis Cocker de la grande époque de Common People.

2024 06 26 IDKHOW Alhambra (13)WHAT LOVE?, la fameuse leçon sur « la reproduction », nous est présenté comme inapproprié pour les gens de moins de 25 ans (« l’âge auquel on devient adulte, à mon avis », nous explique Dallon), et on demande donc aux spectateurs plus jeunes de se boucher les oreilles et les yeux. Sur SUNNYSIDE, le public est chargé de crier les « OK, OK, OK » du refrain. Car Dallon, de manière très américaine, interagit en permanence avec le public, au point parfois de faire perdre au set son intensité par un excès de paroles et de « mise en scène » (l’organisation du chant en deux sections du public, et la répétition, ne sont pas sans rappeler les fantaisies de Pelle des Hives !). Même si le jeune public réagit bruyamment aux commentaires très convenus de Dallon sur Paris, France, ville de l’amour, dont il connaît la tour Eiffel et le Moulin Rouge, on préférerait qu’il se taise et qu’il JOUE ! Heureusement il y a dans ses propos une dose suffisante d’humour pince sans rire (car Dallon ne sourit jamais franchement) pour faire passer la pilule, au moins la plupart du temps.

On clôt le set principal au bout d’une heure quinze par une belle version du formidable Razzmatazz (« avec un saxo invisible, offert gratuitement », ironise Dallon). Avant un rappel ma foi très élégant puisqu’il s’agit d’un coup de chapeau à Balancing Act en première partie avec Nobody Likes the Opening Band. Et on termine par une autre reprise de The Brobecks, Boring, clairement en-dessous de ce qu’on pouvait attendre en guise d’apothéose finale !

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Voici quand même 1h30 de belle musique pop, jouée avec enthousiasme et reçue de manière extatique par les fans parisiens. Et voici aussi la preuve, pas inutile de nos jours, que le rock peut être populaire auprès d’une frange de la jeunesse actuelle : même si c’est une population qui juge Joy D has been, l’important est bien qu’elle aime les guitares. Et qu’elle ait compris l’importance de voter pour préserver ses valeurs.

Texte et photos : Eric Debarnot

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