Bad Nerves – Still Nervous : Lobotomie à la pelleteuse

Vous aimez quand ça trace vite, fort et bien ? Nous aussi, et Bad Nerves parlent le langage de l’amour pour tous les fans de punk véloce, malin et accrocheur. Dégustation et discussion de la seconde platée de watts de ces jeunes britanniques qui jouent aussi vite que les anciens américains.

© Ryan Jay

C’est en rendant visite à la colocation de mon frère que je fus exposé pour la première fois à Bad Nerves, tapageur quintette originaire de l’Essex, une contrée déjà bien connue pour avoir enfanté Blur, Depeche Mode, Humble Pie ou encore The Prodigy. Si la biographie du groupe décrit « le rejeton bâtard d’un coup d’un soir entre les Ramones et les Strokes », l’écoute du premier album paru en 2020 trahissait largement la marque d’un lignage british relié aux seventies à cheveux hérissés. On songeait plus particulièrement aux Buzzcocks pour le phrasé punk sous hélium, aux Undertones pour l’écriture de mélodies rusées, mais surtout, on appréciait la modernité des chansons. On pourrait évidemment arguer que le garage rock speedé en trois accords est un dialecte fondamentalement intemporel, qui encaisse facilement la réactualisation apportée par chaque nouvelle décennie, mais tout cela n’est qu’un facteur partiel.

Le genre de prédilection de Bad Nerves est certes facile à remanier, mais c’était surtout l’exécution du groupe qui forçait l’admiration. Le premier opus éponyme déroulait une tripotée de petites taloches assenées en mode rafale, avec une constance et une solidité qui suscitait le genre d’enthousiasme ressenti devant ce que le journalisme aime qualifier de « classique instantané ». Vingt-sept minutes de pied au plancher, en douze titres dont la première moitié (Can’t Be Mine / Mad Mind / Baby Drummer / Palace / Radio Punk / Bored of Babies) était un vrai beau sans-faute de lobotomie à la pelleteuse. Pire encore, une rapide recherche Youtube suffisait à confirmer que Bad Nerves défouraillait aussi bien sur les planches qu’en studio, attestant que le son de l’album était finalement celui d’une prise en temps réel, à quelques chœurs près. L’efficacité mélodique de leurs compositions plaçait les cinq anglais dans un créneau énergique et tonitruant qui pouvait rappeler les débuts des Hives. Ces derniers ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, puisqu’ils ont justement choisi Bad Nerves pour l’ouverture de leurs dates britanniques. Le quintette a également officié en première partie de Royal Blood et The Darkness, ce qui leur a récemment permis de crash-tester plusieurs des chansons de ce nouvel album.

Le bien nommé Don’t Stop décapsule l’objet dans les règles de l’art établies par le premier album, conjuguant garage rock tranchant et sensibilité pop en moins de deux minutes. La voix de Bobby Nerves, nasillarde et cinglante, demeure inchangée, fonctionnant à plein régime dans un registre parfaitement accordé au son du groupe. Antidote houspille encore le tempo vers un punk qui laisse la section rythmique pilonner en continu derrière des riffs au marteau-piqueur. Même combat pour USA, dont le refrain joyeusement primal devrait générer quelques beaux mouvements de foules lors des concerts de la bande. La cadence ventre à terre de You’ve Got The Nerve renvoie évidemment aux Ramones, avec une basse monolithique qui savonne la planche des accords sur les couplets. La dernière partie de la chanson va même jusqu’à déchaîner quelques soli de guitares malicieusement planqués dans le fond du mixage. Avec ses mélodies entêtantes et ses riffs trépanés, Plastic Rebel aurait parfaitement pu figurer sur l’album précédent.

Petite surprise avec Sorry, qui est sans doute la composition la plus lente proposée par le groupe à ce stade de leur carrière. Le tempo est un shuffle balayé par les guitares, avec pour fil rouge une batterie qui enclume chaque transition avec emphase. Là encore, le refrain est mémorable, taillé pour les foules, et secondé par quelques motifs électriques bien sentis. Et puisqu’on en parle, l’électricité est à l’honneur sur Television, première chanson de Bad Nerves à dépasser les quatre minutes, avec double ration de breaks bourrins et de feedback strident. La section rythmique livre une nouvelle performance au cordeau, compensant un mixage vocal un peu brouillon qui aurait tendance à enterrer les mélodies de la chanson. En revanche, Jimmy The Punk est un parfait petit lancé de grenade pop punk, judicieusement équilibré entre guitares débridées et chœurs accrocheurs. Alright suit la même direction mais éclaircit l’écriture pour laisser la voix se détacher durant les couplets, tandis que les guitares complexifient leur dialogue, arbitrées par une basse qui colmate chaque brèche.

L’intro de You Should Know By Now comporte une ligne de quatre-cordes particulièrement savoureuse, évoluant sur une grille d’accords qui n’est pas sans rappeler les faits d’armes de Hüsker Dü. Le refrain est l’un des plus enthousiasmants de l’album, ce qui n’est pas peu dire. Too Lazy To Love passe en trombe comme un train en marche, honorant à la lettre l’intention annoncée par son refrain d’ouverture. Les guitares qui tourbillonnent derrière la mélodie de chant feront très probablement le bonheur des fans du début de carrière des Strokes. Still Nervous s’achève ensuite sur The Kids Will Never Have Their Say, harangue pop propulsée par des nappes de chœurs sulfatés aux power chords. Le texte fait poindre la lassitude et la rage d’une génération élevée dans un monde surmédiatisé, sur une planète roulant vers un abîme que les puissants ont décidé de ne pas éviter. Pour la part du public déjà familière avec le premier album de Bad Nerves, Still Nervous obtiendra peut-être un léger bémol, du fait d’un effet de surprise écorné par son prédécesseur. Néanmoins, les novices qui découvriront le groupe via ce nouvel opus ne seront aucunement lésés sur la qualité de la marchandise. Ce premier jalon de la discographie de Bad Nerves fait donc office de joli palindrome punk, à visiter dans un sens comme dans l’autre, pour une double de dose d’énergie sur-vitaminée, à consommer sans aucune modération.

Mattias Frances

Bad Nerves – Still Nervous
Label : Suburban Records
Sortie : 31 mai 2024

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