Cela fait du bien de lire une chronique de la vie de jeunes femmes d’aujourd’hui, reflétant une indéniable réalité quant à l’abus de réseaux sociaux, la superficialité étonnante des rapports « humains », et la libéralisation – bien venue – des mœurs. Reste que Girl Juice, à force de jouer la carte du « trash » provocateur, sans que l’humour suive toujours, fatigue vite…
L’une des marques des progrès certains de ces dernières décennies en termes d’égalité des sexes (en attendant – malheureusement – le recul qui nous menace un peu partout, avec la montée en puissance des extrémismes et des fanatiques religieux) est bien la liberté de ton des femmes actuelles, quant il s’agit de parler de sexe de manière décomplexée, aussi naturellement (plus, parfois) que les hommes.
Girl Juice est avant tout un réjouissant témoignage de ces avancées : ce « roman graphique », principalement composé de « gags » d’une page, certains s’enchaînant néanmoins, et complété par une histoire de 65 pages, le démon de Tallulah, traite du quotidien de quatre colocataires menant la vie délurée et souvent joyeuse de jeunes femmes libres de notre époque, et coche toutes les bonnes cases. Réalisme (oui, malgré tout…) des situations et des rapports entre les personnages, regard pertinent sur les dégâts provoqués par les réseaux sociaux et l’addiction qu’ils provoquent, et surtout libération du comportement, mais surtout de la parole, par rapport au sexe (et à l’amour aussi). La grande force de Girl Juice est bien la liberté de ton de Benji Nate, autrice US née à Porto-Rico, la justesse avec laquelle elle croque les excès et les délires de ses héroïnes, et particulièrement de Bunny, accro au sexe, mais peut-être encore plus à l’image qu’elle donne et divulgue largement d’elle-même.
Et il faut admettre que, une fois passée la surprise (agréable) du ton provocateur, vulgaire, résolument « trash » du livre, on rit beaucoup devant le vocabulaire imagé de Bunny, devant ses « punchlines », qui ne sont pas sans évoquer – comme l’éditeur le revendique – l’univers de séries TV emblématiques, et importantes du point de vue « sociétal » comme Sex Education ou Girls.
Le problème est que, malheureusement, cette belle énergie positive et cette verve provocatrice tournent rapidement en rond. Beaucoup des gags ne sont pas très drôles, et au fil des pages, on s’aperçoit que Girl Juice souffre d’une uniformité de ton lassante. On sait que les meilleures comédies ont de la substance parce qu’elles savent laisser cohabiter en leur sein des moments de trouble, de doute, d’angoisse même : il semble que chez Benji Nate, même si de telles ruptures existent, elles sont rapidement sacrifiées pour laisser tout l’espace à la comédie trash.
Finalement, c’est le récit de la possession démoniaque qui clôt le livre qui retiendra le plus notre attention : l’autrice sort pendant ces 50 pages du stakhanovisme des gags vulgaires, et, même si c’est pour chercher son inspiration dans le genre du film d’horreur, quelque chose de plus substantiel advient alors.
Eric Debarnot