Rétrospective Velvet Underground : 6. Loaded (1970)

Derrière une pochette… insignifiante se cache un album particulier, un album à part pour le Velvet, tout aussi excellent mais plus varié, plus accessible et sans doute plus mystérieux…

Loaded MEA

Voilà, c’est déjà la fin. Presque la fin en tout cas, parce qu’avec le Velvet Underground, ce n’est jamais vraiment terminé, qu’il y a toujours quelques perles à dénicher. Mais Loaded, le quatrième album studio du Velvet, est bel et bien le dernier. Et puis c’est un album à part dans la discographie du groupe. De fait, une des manières les plus évidentes, qui est aussi un des reproches les plus récurrents à l’endroit de cet album, est de rappeler que Loaded ne fait pas partie des 3 premiers albums du groupe. Un groupe qui n’est plus le groupe qui a composé les précédents et inoubliables The Velvet Underground & Nico (1967), White Light/White Heat (1968), et même The Velvet Underground (1969).

Loaded pochette rectoLe changement a commencé entre White Light/White Heat et The Velvet Underground, l’éponyme troisième album. John Cale n’est plus là, remplacé par Doug Yule : Cale n’est pas parti de son plein gré, Lou Reed l’a mis à la porte du groupe en octobre 1968. Autre différence majeure par rapport aux albums précédents, Moe Tucker, qui a tenu la batterie jusque-là et donné son identité rythmique au groupe, n’est pas là non plus pour l’enregistrement (elle est enceinte au moment où le groupe entre en studio). Enfin, le groupe a changé de label : MGM/Verve, insatisfait du manque de succès des albums déjà commercialisés, a laissé partir un groupe qui n’était lui pas content du (soi-disant) manque d’enthousiasme du label à les défendre. C’est Atlantic qui signe le Velvet (l’album sort sur une filiale du label). Et le label veut un album qui marche : on sait que le titre Loaded (chargé !) fait référence aux hits dont l’album serait rempli !

L’écriture et l’enregistrement de l’album commencent au printemps 1970, peu de temps avant que le groupe ne joue au Max’s Kansas City où il sera en résidence tout l’été. Et l’album sort en novembre. Au moment de la sortie, Lou Reed n’est même plus membre du groupe, qu’il a quitté en août, avant même la fin de la série de concerts au Max’s Kansas City. Lou Reed ne chante même pas sur tous les morceaux (Doug Yule s’acquitte superbement de la tâche sur quatre des titres, Who Loves The Sun, New Age, Lonesome Cowboy Bill et Oh ! Sweet Nuthin’). Doug Yule joue aussi de la basse, évidemment, et de la batterie. Mais Lou Reed est bien présent sur l’album, c’est lui qui est derrière la plupart des morceaux. C’est lui qui donne cette tournure rock-and-roll à Loaded. Parce que Loaded est effectivement un album de rock – ce qui en fait justement peut-être un album différent des trois précédents, certainement moins innovateur, moins transgressif. Mais un album dans lequel il est difficile de trouver des morceaux mauvais ; tous ne sont pas au même niveau, mais aucun n’est mauvais. Tout est intéressant sur cet album.

Loaded pochette versoParmi les chansons qui donnent un ton un peu particulier à Loaded, on peut probablement ranger Who Loves the Sun, un morceau faussement enjoué (« Who loves the sun ?… Since you broke my heart… Who loves the sun ? Not everyone !« ), ensoleillé et joli comme tout, avec de belles harmonies. Un morceau qu’on aime pas mal quand même par certains côtés. On peut aussi trouver le country rock de Lonesome Cowboy Bill étonnant – difficile de dire si le morceau passe bien ou mal le test du temps. Idem pour Cool it Down. Peut-être que ces chansons-là faisaient justement partie de la tentative de « charger » l’album de hits…

Une fois ces anomalies acceptées (ce n’est pas un sacrifice, quand même), il y a le reste et dans le reste, il y a des morceaux d’anthologie. On peut les prendre par n’importe quel bout, ce sont des titres d’anthologie. I Found a Reason, qu’on aurait bien aimé entendre interprété par Elvis Presley, qui a ce charme des slows que chantaient les crooners des années 1950-1960, avec des trémolos dans la voie, avec des twists dans la mélodie qui font venir des frissons et donnent envie de tomber amoureux. Un morceau bien doux, évidemment, comparé aux morceaux plus énervés et plus rock’n’roll qui donnent à l’album sa puissance. Train Round The Bend, un blues superbe, avec un riff de guitare sale comme on les adore, et qui font aimer ce genre de musique. Tout pareil pour Head Held High, ou encore Rock And Roll, à faire pâlir d’envie les Stones eux-mêmes, bourrés d’une incroyable énergie, avec des solos de guitares et des riffs énervés. Pour le coup, voilà des chansons qui n’ont rien perdu de leur force, de leur fraîcheur, et qui sonnent comme au premier jour !

Loaded, c’est aussi l’album sur lequel on trouve New Age et Sweet Jane, deux morceaux iconiques, qui diffèrent pas mal selon la version (mono ou stéréo) de l’album. New Age, chanté par Yule, chanson sentimentale sur une star de cinéma (« A fat blond actress« ), vieillissante. Sweet Jane, dont on ne sait pas ce qu’on préfère : la mélodie, la voix de Lou Reed (avec ce ricanement cynique et désabusé), la batterie hésitante, ou les paroles inoubliables – « Standing on the corner, suitcase in my hand//Jack is in his corset, Jane is in her vest, and me, I’m in a rock ’n’ roll band ».

Et pour terminer, Oh! Sweet Nuthin’, 7 minutes, une complainte rock-blues qui clôt l’album, un « Ain’t got nothing at all » répété et répété, ad nauseam : après 4 albums, et à la fin de 40 minutes de Loaded, qui n’aura aucun hit, le groupe se lamente de ne rien avoir ramassé, de ne rien avoir…

Plus d’un demi-siècle plus tard, quand on considère l’impact que ces quatre albums sur la musique, difficile pourtant d’en avoir eu plus (d’impact).

Alain Marciano

The Velvet Underground – Loaded
Label : Atlantic
Parution : Novembre 1970

 

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