Inspiré d’une histoire vraie, Les fantômes navigue entre thriller paranoïaque, enquête documentaire et portrait d’un homme qui tente de surmonter l’exil et les traumatismes. Un premier film captivant dans son observation d’âmes en souffrance se substituant, dans l’ombre, à une justice lacunaire.
Hamid dit qu’il cherche son cousin. Ensuite il dira qu’il cherche un ami. Ensuite encore on comprendra qu’il traque son bourreau. Celui qui, pendant des mois et des mois, l’a torturé dans la prison syrienne de Saidnaya (l’une des pires de la dictature de Bachar al-Assad) et de laquelle il est ressorti vivant, lui et quelques autres. Des années plus tard, à Strasbourg, Hamid a intégré une cellule secrète d’hommes et de femmes qui, s’improvisant espions amateurs, poursuivent à travers l’Europe généraux, tortionnaires et autres criminels de guerre du régime syrien ayant échappé à la justice et se cachant sous une nouvelle identité. C’est là, à Strasbourg, qu’Hamid a pris en filature cet homme qu’il pense être son ancien bourreau, et dont il doit être sûr qu’il est celui-là.
Inspiré d’une histoire vraie, Les fantômes, premier film de Jonathan Millet, navigue entre thriller paranoïaque, enquête documentaire et portrait d’un homme qui tente, au-delà de son obsession à confondre sa Némésis (jusqu’à, peut-être, franchir la limite, en faire une vengeance personnelle, s’y perdre ?), de surmonter (parce qu’oublier, c’est impossible) l’exil et les traumatismes qu’il a vécus (outre l’emprisonnement et les tortures, Hamid a perdu sa femme et sa petite fille). Et pouvoir ainsi, peut-être, se reconstruire, commencer une nouvelle existence… Millet s’intéresse autant à l’aspect » espionnage » du récit en utilisant les codes du genre (surveillance, pistage, fausses identités, recherche d’informations et d’indices…) qu’à celui de l’intime en sondant les affres et les tumultes qui tourmentent Hamid.
Affres d’un passé dont les voix, les odeurs et les transpirations, le bruit des pas même, se rappellent encore à lui, imprègnent son esprit et se réveillent dans sa chair, marquée à vie par les stigmates de la torture. Millet relèguera d’ailleurs hors-champ toutes images trop signifiantes d’actes de tortures, appréhendés uniquement par les enregistrements de témoignages d’anciens prisonniers qu’Hamid (et le spectateur aussi) écoute le souffle court (et que pourra accompagner après séance la lecture, certes éprouvante, du terrible mais magnifique roman La coquille de Moustafa Khalifé, emprisonné pendant douze ans à la prison de Palmyre). Les fantômes aurait gagné à resserrer davantage sa narration (certains cheminements n’apportent pas grand-chose à l’histoire) pour créer une tension plus prégnante (à l’instar de cette scène au restaurant entre Hamid et sa cible), mais n’en reste pas moins captivant dans son observation d’âmes en souffrance se substituant dans l’ombre, tels des fantômes, à une justice lacunaire.
Michaël Pigé