Dans cet ultime opus, inachevé, des Aventures de Tintin, Hergé met en scène sa passion, méconnue, pour l’art moderne.
Voici venu l’heure d’achever ce long voyage dans l’œuvre d’Hergé, six mois à lire, relire et méditer les aventures du petit reporter belge. Le premier album est paru en 1930, le dernier s’interrompt à la mort de son créateur en 1983. Soit vingt-quatre albums en cinquante ans…
Le duo Tintin/Hergé a traversé le XXe siècle, il a connu la colonisation et la montée des tensions des années trente, la Seconde Guerre mondiale puis la guerre froide, la conquête de la lune et la décolonisation. Délaissant cette mission aux mémorialistes et historiens, Hergé n’a pas souhaité raconter l’histoire de son temps, mais en a tiré une œuvre que nous espérons intemporelle. En créant ses personnages, un style et un univers unique au monde, ce génie a posé les fondations de la bande dessinée franco-belge.
Après deux histoires atypiques, car sans réels adversaires — l’ode à l’amitié (Tintin au Tibet) et le huis clos sans enjeux (Les Bijoux de la Castafiore) —, puis deux autres plus traditionnelles, mais relativement décevantes, Tintin replonge dans une aventure classique, avec des meurtres et une enquête, des poursuites et des rebondissements, sans oublier le retour de Rastapopulos. Pour l’occasion, le méphistophélique génie du mal se mue en dangereux gourou et trafiquant d’art. Amateur et collectionneur d’art moderne, Hergé s’inquiète : comment distinguer les créateurs de leurs imitateurs ? Voire des tricheurs ? Ce sera le sujet de L’Alph-Art.
Ralenti par la maladie d’Hergé, puis laissé inachevé par sa mort, l’album devait être terminé par l’ami et assistant Bob de Moor, avant que l’héritière des droits, Fanny Rémi, ne se ravise et n’abandonne le projet. Il sera publié (presque) en l’état en 1986, puis dans un second format en 2004. Les pages de gauche rassemblent dialogues et didascalies, tandis que celles de droite présentent les crayonnés et les esquisses les plus abouties. Des agrandissements de détails illustrent le talent du dessinateur. L’album a été scénarisé pour s’achever sur la mise à mort de Tintin, ce qui n’était pas l’intention initiale.
Bien que tintinophile averti, j’ignorais tout de cette étrange bande dessinée. Je me souviens qu’à sa sortie, en fanfare, le concept m’avait déplu. Je ne l’ai acquise que récemment. Le lecteur persévérant pénètre dans un univers déroutant, mais rapidement envoutant. Il assiste, post mortem, au travail du Maître, de sa prise de notes aux premiers tracés, du crayonnage, de plus en plus précis, à l’aboutissement de la page prête à être encrée. Notes manuscrites rapides et esquisses, ratures et biffures, tâtonnements et hésitations expriment, mieux qu’un long discours, le travail de l’artiste qui cherche, recherche et cherche encore. La fameuse ligne claire, ce mince et précis trait noir, n’intervient qu’à la fin d’un laborieux accouchement. Hergé ne se voyait pas en artiste. Il aura tenté de peindre, avant d’y renoncer. Pour autant, en inventant et en codifiant la ligne claire, le dessinateur contribua à la naissance du neuvième art.
Moins rigoureux, le scénariste improvisait largement : « Je sais d’où je pars, je sais à peu près où je veux arriver, mais le chemin que je prends dépend de ma fantaisie du moment. » Avouons que cet artiste fantaisiste nous convia à de merveilleux voyages.
Depuis mon enfance, j’ai souvent lu et relu Tintin. J’y ai trouvé toujours matière à m’émerveiller. J’y reviendrai.
Stéphane de Boysson
Je ne suis vraiment pas d’accord quand on qualife de « relativement decevants » les deux albums « Vol 714 pour Sydney » et « Tintin et les Picaros » … Tous deux yx s’inscrivent dans leur époque, denoncent la lente « derive » des sociétés occidentales et expriment la volonté de Hergé de se retirer de plus en plus du Monde des « Trente glorieuses » appelé à se dégrader insensiblement … L’aboutissement …? L’amertume de « Tintin et l’Alph Art », précisément, en les multiples fausses valeurs de la société occidentale, album aussi sombre, aussi glauque, aussi meurtrier que la meconnue « Oreille cassée » et qui promettait d’être un des plus grand chef d’œuvre d’Hergé !!! Aussi … quelle ERREUR que ce refus d’achèvement de la part de la veuve d’Hergé puis de la Société « Moulinsart » !!!