Madame Robert – C’est pas Blanche-Neige ni Cendrillon : C’est bien noté

La simple idée d’entendre le chanteur de Lofofora dans un groupe de blues avait de quoi rendre curieux. Néanmoins, l’ultime signe du destin était dans le nom de l’entreprise : Madame Robert. Mais si, vous savez. La plus grande chanson écrite en langue française. Celle d’un type qui expliquait que son frère avait bien de la chance de ne pas aimer pas les épinards puisque, s’il les aimait, il en mangerait.

© Richard Métivier

Mon père est un homme de bien. Il possède des magasins d’objets noirs et de choses carrées. Il est sujet aux rhumes en été. Le dimanche, avec ses amis, il fait des parties de rami. Ils boivent le vermouth et la bière en parlant de Madame Robert. Je ne sais pas s’il s’agit précisément de notre sujet du jour, mais je ne l’exclurais pas. Puisque les explications les plus simples sont parfois les moins intéressantes, j’irais même plus loin en affirmant que Nino Ferrer avait lu l’avenir, tel Nostradamus, pour apercevoir la création de Madame Robert, formation hexagonale dont les rangs regroupent Reuno (frontman de Lofofora mais aussi de Mudweiser, combo stoner qui échoue continuellement à proposer un mauvais album), Stef Zen (Parabellum, Harvest Blues Band), Beuh-Fa (Little Odessa), Julien Mutis (Harvest Blues Band) et Léa Worms (Nina Attal, Ahmed Mouici).

Si vous vous demandez à quoi ressemble le son de tout ce beau monde, la piste d’ouverture de ce second album, justement intitulée Chez Madame Robert, déroule le programme assez explicitement. Riffs blues matraqués par une section rythmique athlétique et un clavier vintage, chant éraillé portant un texte à la drôlerie assumée. Parisien speede le tempo pour nous compter le bonheur enviable de ceux qui ont compris que « avec des petits oiseaux, ce serait moins beau », donnant par la même occasion raison à notre collègue Eric qui conspuait les volatiles dans un récent article. Il y a fort à parier que les vannes des paroles feront autant rire les natifs de la capitale que le provinciaux les plus endurcis. Avec son intro funky très rétro, À Ciel ouvert aurait facilement pu sortir du catalogue seventies du grand Nino, si ce dernier avait pris le pari d’adapter la poésie décalée de ses débuts aux sonorités plus rock de sa discographie ultérieure. Les arpèges de guitares et le chœurs soul sont très à propos même si la compo se termine un peu brutalement, ce qui peut évidemment favoriser l’effet de surprise sur scène. La Fille du Dr Jekyll allie une cadence façon Wilson Pickett avec un texte façon Dutronc. Les guitares sont pleines de gouaille bluesy, d’une finesse qui évite les clichés sans pour autant se priver d’héroïsme. Le passage en spoken word qui précède le solo semble ouvrir une porte vers des élucubrations noctambules à la Gainsbourg. C’est d’ailleurs une référence qui affleure très directement (et paradoxalement) sur Presley, avec une première minute susurrée sur une géniale ligne de basse feutrée, bientôt rejointe par la batterie, la guitare, les claviers et de jolis chœurs en arrière-plan. Le registre de crooner de charme sied étonnamment bien à Reuno, qui enfile le costard avec un naturel qui force le respect.

Toutarien muscle le propos vers un rock quasi-Hendrixien où la section rythmique pétarade joyeusement, tandis que la guitare et le clavier se tire la bourre derrière le chant. Là encore, chaque membre du groupe tient parfaitement sa partition et sa place dans le rendu sonore collectif. L’effet Pervers est l’un des titres les plus efficaces de l’album, entre rock sixties et r&b dopé à l’huile de moteur, avec un texte dont le second degré n’édulcore jamais son sujet, celui de la culpabilisation du plaisir dans un monde cherchant à rentabiliser jusqu’à l’existence même de l’humanité. Même si ma disposition personnelle me pousse à donner tout mon respect à une chanson dont la première phrase comprend l’expression « louper la marche à suivre », ça n’est qu’une des nombreuses qualités de Irresponsable, qui bride les guitares et les claviers pour laisser Reuno dialoguer avec la rythmique méticuleuse du morceau. Les Dancefloors comporte une partie de batterie particulièrement rusée, que ce soit sur son intro vintage ou sur les refrains où les cymbales prennent tarif. En tant que fan de Nino Ferrer, j’apprécie tout particulièrement le phrasé de Reuno sur la partie post-solo, où le mot « bottes » (pardon, « BOTTES!!!!! ») vient carrément prêter main-forte aux fûts pour relancer les riffs. Le refrain final, avec claviers et chœurs, encore une fois, n’aurait pas dépareillé chez les Blues Brothers.

L’album s’achève sur Le Dimanche, comme la promesse d’un repos bien mérité dont la douceur et le choix de titre rappelleraient presque le Sunday Morning du Velvet Underground… avant que que les guitares n’atomisent le plafond pour une dernière grille d’accords bien énervés. Ce choix de dernière chanson est particulièrement judicieux, offrant à l’écoute le genre de conclusion mélancolique et majestueuse dont la réussite n’a rien d’évident. Dans le cas présent, l’exercice est validé haut la main, et constitue d’ailleurs une métonymie du ressenti généré par l’album. On pourrait trouver à redire sur un certain académisme dans les compositions, ainsi que sur un parti-pris de production où chaque instrument occupe une place très précise dans l’espace sonore. Néanmoins, l’énergie qui se dégage de l’ensemble est particulièrement contagieuse. L’impression qui domine est celle d’un groupe écouté dans son élément naturel, proche du live, via une captation sans artifices qui privilégie la force de frappe à l’expérimentation. Même si le talent de ces musiciens rendrait curieux de les entendre pousser leur audace en studio, ce serait faire la fine bouche que de refuser ce qui nous est servi avec tant d’entrain. Car, comme chacun ne le sait pas, le meilleur moyen de faire de l’élevage de tortue est encore de prendre pension chez une vieille dame.

Mattias Frances

Madame Robert – C’est pas Blanche-Neige ni Cendrillon
Label : AT(h)OME
Sortie : 12 avril 2024