Le quatrième opus de Wine Lips ne renouvèle pas beaucoup leur son, mais capte leur groupe en pleine vitesse de croisière (dans le bon sens du terme), prouvant que son psych-punk trépané n’est pas encore à court de belles choses à nous balancer dans les tympans.
Formé en 2015 à Toronto par le chanteur Cam Hillborn et la batteuse Aurora Evans, Wine Lips est actuellement l’un des meilleurs messagers du garage punk pysché d’outre-Atlantique. Leurs sorties sont toutes de belle tenue, que ce soit le premier album éponyme de 2017 ou les deux suivants, Stressor (2019) et Mushroom Death Sex Bummer Party (2021). L’actualité internationale de la scène punk et garage, décidément fertile en 2024, les place d’ailleurs en fort belle compagnie. Alors que les britons de Bad Nerves s’apprêtaient à sortir un second bébé qui s’avéra costaud, les canadiens de Wine Lips ont balancé Super Mega Ultra, quatrième fournée qui devrait faire abondamment saliver le public avide de fuzz en furie. Chez Wine Lips, on bosse vite, fort et souvent, sans jamais chercher à s’encombrer de prisonniers. Wine Lips balance tout, ferraille lourd et voyage léger, dans la plus pure tradition Norrissienne qui consiste à mettre les pieds précisément où l’on veut.
On pourrait tenter une mise en perspective faussement élaborée, faisant mine d’ouvrir des portes qui n’ont jamais été fermées. Super Mega Ultra serait-il l’album de la maturité ? Du changement ? De la prise de risque clivante entre audace formelle et frustration de fond ? Wine Lips vont-ils tenter l’épure, le concept ou le méta-textuel ? Comme pour conforter les fanatiques de roulette russe au pistolet à clous, Derailer sonne la charge en un sursaut stoogien, magistralement tabassé par la batterie de la géniale Aurora Evans. La voix est aigre et écorchée comme sur les premiers travaux de Ty Segall, avec toutefois plus de robustesse dans la projection, collant parfaitement aux riffs musculeux de la composition. Le groupe passe immédiatement en troisième sur High On Your Own Supply, dont le tempo punk bien bourrin braconne sans mal sur les terre de Osees. La mélodie reprend un peu de terrain sur Killjoy, dont la composition s’avère justement proche de ce que Bad Nerves proposent actuellement de l’autre côté de l’Atlantique. Chez Wine Lips, toutefois, les guitares rappellent davantage la crasse de Detroit et le goudron grunge que le béton punk de 77. Evans martyrise ses fûts avec classe et les mélodies font mouche sans jamais donner l’impression de vouloir aseptiser le son du groupe, qui demeure dense et énergique en toutes circonstances.
Fried IV speede l’allure et allonge la durée pour dépasser les trois minutes. La batterie est punitive, les guitares sont bloquées en mode rafale et le chant donne envie d’enlever son t-shirt pour y foutre le feu. Le groupe joue la rupture sur New Jazz avec un shuffle bluesy, crasseux à souhait, dont la vibration psychédélique lorgnerait presque vers le desert rock de l’orée des années 2000. Au rayon cuir clouté et hygiène douteuse, Stimulation est un tube punk à l’ancienne, bruyant et bourrin, avec un intermède de batterie qui ravira les fans de catch précambrien. L’intro joyeusement crétine de Six Pack ne fait aucun effort pour faire croire que la finesse fait partie des options au menu, ce que des guitares hurlantes s’empressent de confirmer avec ferveur. En revanche, Serotonin est pour Wine Lips l’occasion de varier un peu sa palette sonore et harmonique avec des incursions de pédale wah, d’arpèges psychédéliques et de percussions bien employées.
S’ensuivent 26 secondes de délicieux vomi fuzzé, où le groupe beugle le titre de Stella. C’est évidemment une masterclass de subtilité avec porcelaine de luxe, petit doigt levé et sourcil arqué sous une perruque Pompadour. Les riffs alambiqués de Lemon Party feraient presque du pied à Queens of the Stone Age, laissant tournoyer le genre de sarabande rouillée qui laisse naturellement les coudées franches à Aurora pour martyriser ses peaux. Dommage toutefois que l’instrumental se termine en fade-out sans avoir ménagé un véritable point culminant à sa composition. Les deux derniers titres de Super Mega Ultra font heureusement partie du meilleur de cette nouvelle cuvée. Burn the Witch fait monter l’écume avec panache, avant d’exploser en un punk rock volcanique où la section rythmique fracasse tout sur son passage. Surpassant les cinq minutes, Cash Man est un très beau dernier tour de piste où le groupe assume ses velléités les plus psychédéliques. Les arpèges de guitares répondent aux harmonies des voix sur fond d’électricité sous pression et de basse virevoltante. Super Mega Ultra mérite donc bien son nom. Si le cap stylistique de Wine Lips demeure majoritairement inchangé, l’enthousiasme de l’équipage l’est tout autant. L’aventure sera au rendez-vous, nous n’en doutons pas.
Mattias Frances