« L’Odeur des pins », de Bianca Schaalburg : un douloureux effort de mémoire

L’Allemagne a un problème avec son histoire. Les générations nées après la guerre ont vécu sur un mensonge, celui de l’ignorance de leurs aînés. « On ne savait rien ! » Comment croire que leurs parents et grands-parents n’aient rien su des crimes nazis ?

L'Odeur des pins : Ma famille et ses secrets- Bianca Schaalburg
© 2024 Schaalburg / L’Agrume

Née en 1968, Bianca Schaalburg s’interroge. Ses quatre grands-parents étaient en âge de voter en 1932. Si on admet que le parti nazi a compté 8,5 millions de membres et qu’il a réuni 43,9 % des suffrages en 1933 ; la question n’est pas de savoir si un de ses aïeux a été nazi ou sympathisant nazi ? Mais plutôt, quel a été son rôle ?

L'Odeur des pins : Ma famille et ses secrets - Bianca Schaalburg La question se pose pour Heinrich Schott, le grand-père maternel de Bianca. Prothésiste dentaire au chômage, il décroche en 1933 un emploi de comptable au syndicat, désormais unique, nazi. Or, Bianca découvre que non seulement Heinrich était membre du NSDAP dès 1926, mais qu’il appartint à la SA en 1928 et 1929.

Plus grave, la maison qui lui a été attribué en 1936 appartenait un retraité juif. Aidée par son fils, Bianca cherche à en savoir plus : qui donc étaient Carl Loewensohn et ses locataires Clara Hipp et Margarethe Silberman ? Ils filent aux archives. La machine administrative est d’une rare cruauté, elle a conservé les dates d’expulsion, de déportation et de mort, mais rien de plus, si ce n’est des indications de métiers. Carl était libraire, Margarethe fondée de pouvoir et Clara veuve d’un riche banquier. Alors, se faisant romancière, Bianca se propose de leur redonner une vie. Traité en noir et blanc, le passage est déchirant. Sous nos yeux, les trois amis jouent à la canasta. Expulsés, ils tentent de survivre, mais sont déportés et meurent.

Le scénario mêle habilement les époques, qu’il colorise différemment. Il replonge dans son enfance berlinoise et l’histoire de ses proches afin de tenter de démêler mensonges et dénis. Nous découvrons un pays anéanti, puis reconstruit. La famille a été épargnée par la guerre. Mobilisé, Heinrich semble ne pas avoir quitté la ville de Riga. ll a été promu, décoré, emprisonné, jugé, puis libéré. Il n’a rien dit et ceux qui savaient se sont tus. Il est désormais trop tard pour savoir.

Bianca Schaalburg est illustratrice, son dessin peut être maladroit. Quelques visages détonnent et des positions manquent de souplesse, mais ces défauts plastiques ne nuisent pas à son propos. Au contraire, ils soulignent les défaillances de la mémoire ; le temps passé nous échappe et, avec lui, toutes certitudes. Bianca ne sort pas son enquête rassurée, mais enrichie de la présence, ténue, de trois nouveaux amis, Carl, Clara et Margarethe. Ne les oubliez pas !

Stéphane de Boysson

L’Odeur des pins : Ma famille et ses secrets
Scénario et dessins : Bianca Schaalburg
Éditeur : L’Agrume
208 pages – 26 €
Parution : 11 avril 2024

L’Odeur des pins — Extrait :

L'Odeur des pins : Ma famille et ses secrets- Bianca Schaalburg
© 2024 Schaalburg / L’Agrume

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