Même réalisé par un autre, rien ne ressemble plus à un film de Scorsese qu’un documentaire où ce dernier évoque face caméra un duo mythique du cinéma anglais. Made in England : les films de Powell et Pressburger parle autant de son sujet que de la carrière et de l’œuvre du cinéaste qui le mieux survécu à la fin du Nouvel Hollywood.
Made in England : les films de Powell et Pressburger, ou un documentaire scorsésien qui ne dit pas son nom. Puisque c’est Scorsese qui présente face caméra le cinéma du duo britannique mythique Michael Powell / Emeric Pressburger au travers d’extraits de films et d’images d’archives. Derrière l’apparence de cours magistral, le film est d’abord un film sur Scorsese, sa cinéphilie, son travail de cinéaste.
Scorsese commence par évoquer sa découverte du cinéma du duo, pas dans les meilleures conditions. A une époque où les studios hollywoodiens ne diffusaient pas leurs films à la télévision, ouvrant une brèche dans laquelle le cinéma anglais s’engouffra. On s’amusera à comparer cette réaction des studios à la montée de la concurrence du petit écran à l’époque actuelle : un film qui ne fait pas ses preuves très vite atterrit désormais en VOD en quatrième vitesse.
Scorsese évoque, conversion des images en Noir et Blanc et au format petit écran années 1950 à bords ronds à l’appui, sa découverte sur la lucarne de films souvent réputés par leur palette chromatique. Pour être malgré tout émerveillé. Mais quel cinéphile ayant grandi dans les années 1980 ne s’est pas pris une claque en découvrant un classique en format non respecté sur petit écran ?
A ce propos, bien avant la VHS, l’époque avait pour un apprenti cinéphile son moyen de revisionnage à outrance : les rediffusions. Avant des visionnages en salles dans des copies de qualité parfois médiocre (usure reproduite dans les extraits). Des visionnages formant le cinéaste à l’importance du cadre, du mouvement et de la couleur. Lorsque Scorsese évoque un film aussi malsain que Le Voyeur (réalisé par Powell en solo) comme film reflétant son rapport à son travail de cinéaste débutant, c’est à la fois troublant et compréhensible. Tandis que l’extrait choisi et sa caméra voyeuse / subjective souligne, comme le dit Scorsese, que le film a été plus que vu par De Palma.
La première rencontre avec un Powell devenu has been à la maison annonce, elle, les liens d’amitié entre Scorsese et le cinéaste développés par la suite : Powell le soutiendra à un moment où le succès n’était plus là, et épousera la géniale monteuse scorsésienne Thelma Schoonmaker.
Mais, même lorsque le film raconte, à coup d’extraits de films et d’images d’archives (storyboards, interviews, making of…), sur la carrière du duo, il est tout autant question de Scorsese que de présenter le tandem. Bien sûr, au travers de la mention de l’influence de ce dernier sur son cinéma, extraits à l’appui. Ou seulement en voix off, lorsque le duo anglais est mentionné comme inspiration de la dimension religieuse de son cinéma. Sur ce point, on aurait plus spontanément évoqué Dreyer ou Bresson.
Mais aussi dans le rapport entre l’artiste et les exigences / contraintes commerciales des studios. Glisser en cinéastes contrebandiers dans la production anglaise de cinéma de propagande de la Seconde Guerre mondiale une vision non-manichéenne de l’ennemi. Casser les conventions du cinéma commercial en interrompant dans Les Chaussons Rouges le récit par une longue scène de ballet reflet des tourments intérieurs des personnages. Ou en faisant jouer toutes les femmes côtoyées par Blimp par la même actrice dans Colonel Blimp. Se heurter, comme les cinéastes du Nouvel Hollywood après 1980, à un conflit de vision avec les producteurs. Ainsi avec le légendaire mogul David O. Selznick (Autant en emporte le vent) pour La Renarde.
Au-delà du cinéma, le documentaire a au final un intérêt : donner à voir ce qu’est que le so british, entendu dans une chanson de Ray Davies ou un sketch des Monty Python. C’est par exemple le mélange d’élégance et de légère décontraction des interviews du duo. Comme cette plaisanterie sur les bâtons dans les roues mis par Churchill s’agissant du projet Colonel Blimp : « Churchill était un leader merveilleux mais un piètre critique de cinéma ».
Ordell Robbie