La mode est aux rééditions de romans capables de traverser les années et les Éditions de l’Olivier ont eu la très bonne idée de nous ressortir Le masque de Dimitrios d’Eric Ambler : l’archétype du roman d’espionnage et un auteur salué par tous ses pairs de Ian Fleming à John Le Carré.
Un bouquin qui date de 1939, à une époque où Eric Clifford Ambler avait décidé de secouer un peu le monde élégant et très fermé du roman d’espionnage britannique en mettant en scène des anti-héros, des hommes ordinaires devenus espions malgré eux, dans une ambiance qui rappelle un peu Graham Greene.
Rien à voir avec les super-héros comme 007 même si Ian Fleming lui rend hommage dans l’une de ses aventures :
[…] James Bond détacha sa ceinture, alluma une cigarette et sortit de son élégant attaché-case un exemplaire du Masque de Dimitrios.
Quelques petits mots qui contribuèrent certainement à la légende forgée autour de cet auteur, que John Le Carré considérait comme [leur] maître à tous, qui traversa tout le siècle (1909-1998) et qui publia ses premiers romans dans les années 30, en pleine montée du nazisme.
Mais un auteur finalement assez peu connu chez nous.
Le personnage principal, Charles Latimer, n’est qu’un petit écrivaillon de romans policiers. De passage à Istanbul, il est invité à la morgue pour y découvrir un « vrai cadavre » repêché dans le Bosphore.
[…] – Je n’ai jamais vu de cadavre ni de morgue, mentit Latimer. Je pense que c’est du devoir d’un auteur de romans policiers d’en voir.[…] Latimer contemplait le corps. Ainsi, c’était Dimitrios. L’homme qui avait peut être égorgé Sholem, le Juif converti. L’homme qui avait trempé dans des assassinats politiques, espionné pour la France. L’homme qui avait été à la tête d’un trafic de stupéfiants, qui avait fourni un pistolet au terroriste croate, et était finalement mort de mort violente.
Le cadavre est celui de Dimitrios Makropoulos, un aventurier escroc aux personnalités multiples et au parcours étonnant qui nous emmènera de Smyrne à Paris en passant par Sofia, Athènes, Genève ou Belgrade.
De quoi fasciner l’écrivain Latimer qui se fait alors détective amateur et part sur les traces du fantôme de Dimitrios pour interroger ceux qui l’ont connu ou du moins ceux qui ont cru connaître ce personnage interlope et insaisissable.
Pour nous c’est aussi l’occasion de (re-)découvrir une période troublée entre deux guerres et une géopolitique complexe, l’Histoire des années 1920 : l’incendie de Smyrne de 1922, l’assassinat en 1923 du ministre bulgare Alexandre Stamboliyski, l’attentat manqué de 1926 contre Mustafa Kemal, … Une période où se mêlaient trop étroitement espions et mafieux, politique et finance, …
On est curieux de l’aura qui entoure cet ouvrage emblématique, cet archétype du roman d’espionnage. Le britannique Eric Ambler serait un peu à la figure de l’espion ce qu’un Chandler est à celle du détective.
On appréciera le charme suranné de cette écriture, mélange subtil d’humour et d’élégance so british, dans une traduction modernisée, à déguster avec une tasse de thé ou un verre de whisky en main.
On suivra patiemment la quête obsessionnelle de Latimer à la recherche de ce mystérieux et insaisissable Dimitrios sur les traces de ceux qui l’ont croisé : une bulgare tenancière de boîte de nuit, un étrange danois, un maquereau hollandais, une duchesse russe, un espion polonais, …
Bruno Ménétrier