En se mettant à hauteur d’enfant, Giovanni di Gregorio et Grégory Panaccione abordent avec subtilité un sujet grave, la pédophilie, et font, par la même occasion, remonter les terreurs enfantines du lecteur adulte que nous sommes. Une franche réussite !
Mattéo, dix ans, semble vivre une enfance heureuse dans le pavillon familial, entre ses parents bienveillants et son chien Tommy, si ce n’est ces cauchemars récurrents qui l’assaillent en pleine nuit. Et puis il y a cette ombre en embuscade, celle de ce mystérieux « homme en noir » qui provoque chez lui des peurs panique et lui gâche un peu sa joie de vivre au quotidien. Mais Mattéo ne veut rien dire à ses parents et préfère s’inventer un monde imaginaire… jusqu’à l’heure du coucher où ressurgit systématiquement cette peur du noir…
Auteur prolifique, Gregory Panaccione n’a conservé que sa casquette de dessinateur pour revenir avec un récit scénarisé par Giovanni di Gregorio. Si L’Homme en noir a trait au monde de l’enfance, il aborde un thème grave, celui de la pédophilie. La narration efficace, tout en subtilité et en évitant l’écueil du voyeurisme, va permettre à Panaccione d’y déployer toute sa créativité, le dessin contenant ici une réelle valeur ajoutée.
Le récit démarre avec cette ombre noire et inquiétante, qui plane tel un gigantesque croquemitaine sur une barre d’immeuble HLM aux dimensions démesurées, puis embraye vers un registre beaucoup plus rassurant. Dans un avenant pavillon familial, Mattéo est réveillé par sa mère, c’est l’heure d’aller à l’école ! Le garçonnet émerge à peine d’un cauchemar saturé de visions terrifiantes du fameux homme en noir. Mais heureusement le quotidien familier reprend vite ses droits avec l’irruption du chiot Tommy, turbulent compagnon de Mattéo, qui vient le couvrir de léchouilles bien baveuses. Pour un peu, on se croirait dans Boule et Bill, allusion évidente à l’insouciance du jeune âge… Mattéo ressemblerait presque à tous les garçons de son âge, si ce n’est pour son côté hyperactif, ces mictions récurrentes durant son sommeil ou ces sautes d’humeur lorsque par exemple son copain Ivan lui parle de l’homme en noir. Peu à peu, les obsessions du gamin vont s’imposer au fil de l’histoire, notamment cette peur du noir incontrôlable quand vient l’heure de dormir. Et de plus en plus, il montrera un visage accablé par la tristesse et l’angoisse. Jusqu’au dénouement final, où jaillira la terrible vérité, que le déni dans lequel s’est barricadé Mattéo ne suffira plus à contenir. C’est alors que le sol se dérobera brutalement sous ses pieds…
D’un point de vue graphique, ce qui frappe est le contraste entre l’univers coloré du gosse et ses cauchemars représentés dans des tonalités très sombres, comme celles où Panaccione avait excellé dans un de ces récents opus, La Petite Lumière. Les pleines pages panoramiques renforcent l’aspect absolument terrifiant de l’homme en noir (faisant que cette BD n’est peut-être pas à mettre entre toutes les mains !) et décuplent la sensation de vertige, lorsque Mattéo rêve qu’il chute du haut de cet immeuble sinistre d’où se dégage une cruelle solitude, avec ces silhouettes mélancoliques contemplant la laideur des inhumaines cages à poules environnantes.
L’Homme en noir s’avère indiscutablement une réussite où les partitions graphiques et narratives sont totalement en phase sur un sujet de société extrêmement délicat. Sans doute plus répandue qu’on aurait tendance à le croire (160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, les agresseurs étant à 80% issus de la famille selon les témoignages recueillis), la pédophilie prospère sur la loi du silence et la manipulation retorse d’individus certes détraqués psychologiquement mais hautement dangereux. Les auteurs tentent ici de nous avertir, avec subtilité, de certains signes qui font que l’on devrait s’inquiéter pour les jeunes victimes murées dans un silence mortifère, ces dernières/celles-ci risquant de voir leur enfance littéralement broyée par leurs prédateurs.
Laurent Proudhon