Onze chansons dont neuf inédits de Johnny Cash, datant du début des années 90, superbement réorchestrées, ça ne se refuse pas ! Même si on est loin des chefs d’œuvre des American Recordings, Songwriter est un disque qui pourvoit bien des plaisirs et des émotions simples. Et rappelle que Cash était, oui, un grand « songwriter ».
La qualité musicale et l’importance historique des American Recordings de Johnny Cash (et Rick Rubin, que l’on peut quasiment créditer comme co-auteur), ont permis à la carrière de « l’homme en noir » de se conclure à des hauteurs stratosphériques. Grâce à ces albums, Cash, longtemps oublié, voire méprisé pendant l’avant-dernière période de sa longue carrière – sa phase purement country, on va dire pour simplifier – est aujourd’hui l’un des artistes les plus considérés de toute l’histoire de la musique US. Du coup, la sortie de Songwriter, un album posthume que l’on avait pas vu venir, est forcément un événement. Même si, inévitablement, le souvenir douloureux de médiocres disques du même tonneau publiés après la disparition de géants musicaux nous oblige à la circonspection, d’autant qu’il n’est pas inconcevable que les rejetons de la famille Cash aient besoin de fonds…
Ne faisons pas durer le suspense, Songwriter n’est ni une escroquerie, ni un grand disque retrouvé de Johnny Cash, plutôt un album plaisant qui n’apportera rien de nouveau à « la légende », mais qui ravira les fans… à condition de pouvoir oublier la grandeur funèbre des American Recordings. Car Songwriter nous offre onze chansons plutôt tranquilles d’un Johnny Cash explorant sur un mode « country traditionnelle » les petits plaisirs et les petites douleurs de la vie quotidienne dans l’Amérique profonde : chaque chanson ou presque est une sorte de chronique sentimentale (parfois un peu trop mélo, un défaut récurrent chez Cash, magnifiquement corrigé par Rubin) d’une existence ordinaire.
Les onze titres de Songwriter, tous inédits à l’exception de Drive On et Like a Soldier – tous deux excellents – parus dans les American Recordings, ont été enregistrés au début des années 90, à une époque où Cash touchait le fond du point de vue célébrité et finances. Il avait utilisé alors le studio d’enregistrement appartenant à sa belle-fille pour créer des démos, que l’on peut imaginer destinées à convaincre un label de le signer (car à l’époque, incroyablement, il était sans label !), et avait quand même réussi à s’entourer d’une belle bande de musiciens, dont Waylong Jennings. Pourtant, ce qui reste de ces démos – retrouvées et retravaillées par John Carter Cash, le fils qu’il a eu avec June Carter – sur Songwriter se borne principalement à la voix de Cash, et à sa guitare : la décision – excellente, sans aucun doute, vue la classe de l’orchestration du disque – a été prise de « moderniser » les enregistrements, en faisant appel à des musiciens actuels (l’inévitable Dan Auerbach est là, bien sûr, qui ajoute une belle magie sur le crépusculaire Spotlight), et surtout à une production qui se rapproche de celle des American Recordings. Et le résultat est tout bonnement remarquable : on évite les excès stylistiques de la country standard, mais dans une sobriété « de bon goût », et surtout, le respect de la voix et du style de Johnny Cash est total.
Au delà de cette forme quasiment parfaite, Songwriter est-il pour autant du « grand Johnny Cash » ? Il faut bien reconnaître que la plupart des chansons, toutes magnifiquement chantées bien entendu, sont plutôt « légères ». On est agréablement surpris – à la limite de l’émerveillement, même, pour le coup – par l’introduction élégiaque de Hello Out There, qui voit Cash exprimer des considérations inquiètes sur l’avenir de l’humanité : « Hello out there / This is planet Earth / Calling (calling, calling, calling, calling) / … / In this final fight for life and peace / We’re failing (failing, failing, failing, failing) » (Bonjour à vous, tout là-bas / C’est la planète Terre / Qui appelle (appelle, appelle, appelle, appelle) /… / Dans ce combat final pour la vie et la paix / Nous sommes en train d’échouer (échouer, échouer, échouer, échouer). On sourit au récit plaisant et humoristique d’une jolie rencontre amoureuse à la laverie automatique du coin (Well Alright) : « The world’s half full of women and the world’s half full of men / And sometimes one or the other opens up to let one in / But the one I met at the laundromat that dangerous beautiful night / Said, « Yes, I do, and yes, I will, » and I said, « Well, alright » (Le monde est à moitié plein de femmes et le monde est à moitié plein d’hommes / Et parfois, l’un des deux s’ouvre pour laisser entrer l’autre / Mais celle que j’ai rencontré à la laverie automatique par cette belle nuit dangereuse a dit : « Oui, je le veux, et oui, je le ferai », et j’ai dit : « Eh bien, d’accord »). On verse une petite larme d’émotion sur I Love You Tonite, une chanson d’amour et de fidélité à June : « And I love you tonite / Even more than I loved you in the sixties / And I know that we are right / Even more than I knew it in the seventies / Oh, baby, ain’t we a sight? / Can you believe we made it through the eighties? / And will we make the millennium? / Well, we might » (Et je t’aime ce soir / Encore plus que je t’aimais dans les années soixante / Et je sais que nous avons raison / Encore plus que je le savais dans les années soixante-dix / Oh, bébé, n’est-ce pas spectaculaire ? / Arrives-tu à croire que nous ayons survécu aux années quatre-vingt? / Et atteindrons-nous le millénaire? / Eh bien, c’est possible). Rappelons que le couple atteindra en effet l’année 2003, et qu’ils disparaîtront à quelques mois d’intervalle… Songwriter regorge finalement de petits moments d’humanité comme ceux-là, qui en font son prix.
Suivant l’humeur dans laquelle on se trouve, on jugera Songwriter un tantinet anodin, ou bien franchement émouvant. C’est en tout cas un témoignage parfaitement respectable du savoir-faire de Johnny Cash, auteur-compositeur de chansons américaines.
Eric Debarnot
Côté negatif, on pourra regretter le peu d’informations dans le livret sur l’histoire de ces enregistrements, de l’époque et de la production récente.
Côté positif, un disque bonus d’enregistrements de morceaux connus en 1988, de très bonne facture, qui nous font revivre le Johnny CASH de cette époque, d’avant les salutaires et magnifiques Américain recordings.
Ce disque est comme un plongeon dans une autre époque, l’époque de Johnny CASH.