[Live Report] Les Eurockéennes de Belfort 2024

Cette 34ème édition du festival belfortain offrait un panorama des sonos mondiales. Le rock y était à son avantage au côté des scènes électro et rap. Malgré une météo capricieuse, le foot et les élections, 127 500 personnes ont foulé la presqu’île du Malsaucy.

34 edition des Eurockeennes

Jeudi 04 juillet

Sur la scène de la Loggia, rugit la noise-punk de Lambrini Girls. La rage habite le trio féministe / queer de Brighton. Il ne faut pas longtemps à Phoebe Lunny pour déambuler au milieu du public, monter aux arbres et scander quelques slogans politiques. Big Dick Energy, Help Me I’M Gay donnent le ton revendicatif et radical. Clap de fin avec un Boy In The Band sulfureux.

 

Lambrini Gils - Photo : Deadly Sexy Carl
Lambrini Girls – Photo : Deadly Sexy Carl

Plus douce et consensuelle, la chanteuse malienne Oumou Sangare défend la condition féminine en Afrique en s’impliquant personnellement. Entourée de danseuses, la prêtresse Wassoulou mélange des instruments traditionnels (Kora) avec des sonorités plus modernes. On retiendra Sira qui magnifie l’afro-pop, l’hypnotique Djoukourou avant de clore avec le groovy Yala.

La Green Room se pare d’une déco arc-en-ciel. Le trublion qui s’affiche sans complexe s’appelle Julien Granel. Survêtement jaune, tee-shirt foot à l’effigie du festival, cheveux rouge et vert, le Bordelais adore les synthés et bondit comme un pois sauteur. French touch foutraque, électro-funk et pop font le bonheur d’un public et de dinosaures gonflables acquis à sa cause. Pianiste confirmé, il balance des solos à la Stevie Wonder sur Cooleurclub, et se fait plus pop sur Couleur et Les Nuits. Percutant, Granel est partageur de bonne humeur, et le public le lui rend bien. Dans un registre pas si éloigné, Pierre Hugue José intègre des sons électro à son rap. Il se définit comme chômeur-rappeur, envoie des punchlines sur La Parisienne, et se montre plus intimiste avec Jumeau. Le verbe à la hauteur de ses origines vésulienes, PHJ manie l’humour cash sur le très house Bouyave. On se marre, on se questionne. Bien joué.

 

Julien Granel - Photo : Deadly Sexy Carl
Julien Granel – Photo : Deadly Sexy Carl

Sur la grande scène, Royal Mud ou plutôt Royal Blood ne fait pas dans la dentelle. Mike Kerr, chanteur-bassiste, joue comme un guitariste, le batteur Ben Thatcher frappe sans concession. Le duo de Worthing se délecte dans un blues moderne, vocalement proche parfois de Muse, privilégie des titres de leur premier album éponyme et du troisième, Typhoons, dont est tiré Boilermaker et le dansant Limbo.

Retour sur la Green Room ou l’écran affiche « Pretenderz ». La chanteuse Chrissie Hynde des Pretenders est toujours bien entourée. Le fidèle batteur Martin Chamber a toujours cette frappe sèche, le bassiste Nick Wilkinson, arrivé en 2006, se montre sobre et précis, le guitariste lead James Walbourne amène de la fraîcheur. La chanteuse a su conserver son charisme et sa classe, sa voix reste immédiatement identifiable. Ce qui est assez exceptionnel pour celle qui a bossé dans la boutique londonienne punk fétichiste Sex, et a fréquenté les Sex Pistols et Clash. Sur scène, elle offre un set rock qui puise dans ses trois premiers albums à tubes.  Elle fera l’impasse sur Brass In Pocket, mais se rattrapera par des versions réussies de Kid, Message of Love, Back On The Chain Gang, Middle Of The Road et Time Avenger.  Mention spéciale pour le très Pistolien Vainglorious et Let The Sun Come In, issus du dernier album, Relentless, paru en 2023.

 

Pretenders - Photo : Deadly Sexy Carl
Pretenders – Photo : Deadly Sexy Carl

Sur la Plage, Romy en vacances de son groupe The XX, défend son premier album solo Mid Air. Accompagnée par une dj qui lance les samples, elle narre ses récits lesbiens et queers sur des sons techno soft. Le single Weightless répand la moiteur, quand le très house She’s On My Mind finit par convaincre les plus réticents et réticentes.

 

Romy - Photo : Deadly Sexy Carl
Romy – Photo : Deadly Sexy Carl

Vendredi 05 juillet

Une explosion de noise et de fuzz accueille les festivaliers. Slift joue serré et répand son krautrock psychotrope avec délectation. Sans temps mort, les Toulousains, signés récemment sur le label américain Sub Pop, transforment le déluge sonore en art, à coup de wah-wah et de claviers analogiques. De temps à autres, le chant perce pour laisser place à de longues plages cosmiques.  Les Belfortains de Caesaria électrisent la Plage et la transforment en dancefloor. Love You More Than Me et Empty Club conquièrent du public. Leur reprise du Smalltown de Bronsky Beat met le feu. Well done ! Voilà que résonne le punk rock bien énervé de The Pill. Originaire de l’Ile de Wight, Lily Hutchings et Lottie Massey, habillées en écolières, s’inspirent autant de The Slits pour les cassures rythmiques que du punk-rock rapide à la Ramones. Quant au chant, il reste mélodique, coquin, et fantasme sur les sugardaddies.

 

Slift - Photo : Deadly Sexy Carl
Slift – Photo : Deadly Sexy Carl

Retour à la Loggia où les colmariens de Manson’s Child jouent alignés, habillés en noir pour entamer Jenifer et Summer. Titres qui soulignent immédiatement un son clair et net. Sur Break The Phone, le chant de Mathieu Marmillot renvoie à celui de Mark E Smith de The Fall soudainement pris de robotisme. Alternant un jeu de basse verticale ou horizontale, il donne forme à ce son rond (New Orderien) parfaitement maîtrisé. Leur tube cold-pop Love In Tears est attendu et célébré, s’en suit How Does It Feel tel un hommage vachard aux Britons qui se mettent minables à Benidorm. Paulas Body où l’histoire d’une femme pendue est le parfait complément à Isolation de Joy Division, qui fait office de dernier titre.

 

Manson's Child - Photo : Deadly Sexy Carl
Manson’s Child – Photo : Deadly Sexy Carl

Le bpm à 160, la Plage vibre des sons technoïdes du collectif La Darude, qui excelle dans le mashup. On y croise donc des remixes improbables de Nirvana, Sophie Ellis-Bextor, Tatoo ou Icona Pop, et des sets plus électro qui font basculer les aficionados dans la nuit. Au même moment, Blaiz Fayah, tout en camouflage, emballe la Green Room avec des sons shatta inspirés par la musique caribéenne. Des danseuses fluorescentes entourent les musiciens pour un voyage sans frontières. Retour à la Loggia pour un spectacle queer bien azimuté. Lynks avance cagoulé et recrée l’ambiance des clubs gay londoniens, entouré de trois danseuses et danseurs. Garde-robe de dingos, il s’inspire ouvertement de Leigh Bowery, artiste protéiforme australien issu des Nouveaux Romantiques. Sur des sons électro-pop, Lynks enchaine des chorégraphies extravagantes qui trouvent leur matrice sur des titres comme Use It Or Loose It ou I Feel Like Shit. Des paillettes pleins les yeux pour les festivaliers ouverts d’esprit.

Samedi 06 juillet

 

Bar Italia - Photo : Deadly Sexy Carl
Bar Italia – Photo : Deadly Sexy Carl

Bar Italia avance avec une nonchalance parfaite, et se place du côté des slackers. Nina Cristante  partage le chant avec ses deux acolytes guitaristes Sam Fenton et Jezmi Tarik Fehmi. Chacun y va de son couplet, les guitares lo-fi s’entremêlent sur des tempos assez cool. Les singles défilent, Nina tourbillonne avec un tambourin, souriante à la section rythmique féminine. Pour le frisson, il faudra quand même attendre les deux derniers titres Worlds Greatest Emoter et Slylinny. Des frissons, les Dublinois punks de Sprints en auront sous un déluge de pluie.  La chanteuse Karla fait preuve de beaucoup d’empathie envers le public en K-ways, tout en se montrant féroce au chant. Une voix puissante qui dénonce à tout va les politiques conservatrices et extrémistes. I’m in a Band et Heavy font monter la température, Shake your hands la prolonge et l’excellente reprise Deceptacon du groupe new-yorkais féministe Le Tigre transforme la boue en energy-floor.

Lorsque les membres de Fat Dog entrent en scène, en émane un fort potentiel bordélique. Les Londoniens no-looks mélangent allègrement polka, dirty bass, saxo et samplers cradingues. Le chanteur Joe Love donne de sa personne en s’approchant au plus près du public qui le lui rend bien. Le géant au clavier et la saxophoniste enchaînent des danses bizarres non dénuées d’humour. All the Same suivi de King of the Slugs provoquent un joyeux foutoir à la Loggia, intensifié par le surpuissant Running. Top révélation.

Des visuels signés feu Vaughan Oliver s’affichent sur l’écran de la scène de la Plage. En intro Bela Lugosi’s Dead de Bauhaus colle parfaitement avec le corbeau noir posé sur l’ampli basse.

 

The Breeders - Photo : Deadly Sexy Carl
The Breeders – Photo : Deadly Sexy Carl

The Breeders et les sœurs Deal (Kim et Kelley), entourées de la bassiste Josephine Wiggs et du batteur Jim MacPherson, respirent la forme, et font preuve d’un enthousiasme qui fait plaisir à voir. Le groupe va principalement enchaîner des titres des deux premiers albums Pod et Last Splash, avec ce sentiment de fébrilité qui les caractérise en concert. No Aloha, Divine Hammer et Canonball sont célébrés par les fans. Quelques titres rares comme Safari, Desobedience côtoient des reprises des Beatles (Happiness is a Warm Gun) ou des Ed’s Redeeming Qualities (Drivin’ on 9), avant de terminer par un Gigantic des Pixies. Ravis d’être là, The Breeders ont ranimé la fibre indie.

 

Heilung - Photo : Deadly Sexy Carl
Heilung – Photo : Deadly Sexy Carl

Changement d’ambiance avec Heilung. Sous des couleurs sépia embrumées, des ombres s’installent en cercle autour d’un shaman sorti de Game of Thrones. Célébration païenne pour un voyage dark où les tambours, hochets, cloches, cornes et talharpa sont rois. Sans oublier quelques ossements humains pour la légende. Des vikings armés de lances et boucliers assurent les chœurs guerriers, mais c’est Maria Franz qui subjugue avec ses incantations lyriques au côté de Kai Uwe Faust et de Christopher Juul, les deux fondateurs de cette formation atypique, qui peut rassembler jusqu’à quarante membres sur scène. Le concert le plus flippant de cette édition.

 

Sum 41 - Photo : Deadly Sexy Carl
Sum 41 – Photo : Deadly Sexy Carl

TNT d’AC/DC resonne dans les baffles de la grande scène. Les cinq dressing-punk de Sum 41 enchainent les tubes punky-pop, dopés par le chant remarquable de Deryck Whibley. Addictif, le groupe déroule comme des chefs, pas une note ne dépasse, le show est parfaitement millimétré. Cabotins, les punks canadiens osent même un medley entre Smoke On The Water de Deep Purple et Seven Nation Army des White Stipes. Après 200 fucking, Sum 41 termine le show avec son dernier single Waiting On a Twist of Fade, le bouillant Summer et l’incontournable Still Wating.

 

IDLES - Photo : Deadly Sexy Carl
IDLES – Photo : Deadly Sexy Carl

Efficace certes, mais bien poli à côté d’Idles. Radical et politique, le groupe de Bristol l’est et le revendique. Il ne se prive pas d’envoyer un Fuck Le Pen retentissant. Leur musique post-hardcore a évolué, leur dernier album Tangk s’ouvre vers d’autres horizons, plus dirty-groove. Sur scène le chanteur Joe Talbot dégage une aura puissante, secondé par un Mark Bowen en nuisette rose qui maltraite toujours ses guitares et ses chœurs tout en explorant ses claviers analogiques. Lee Kiernan à la guitare et le bassiste Adam Devonshire ne sont pas en reste. Au saxophone Colin Webster balance des nappes et se fond dans le bordel ambiant. Idles rompt les harmonies comme Sonic Youth, performe la dissonance et la chorégraphie, privilégie les titres de leur second album Joy As An Act of Resistance et du récent Tangk, sublime Gratitude et Dancer.

La performance scénique d’Idles marquera cette 34ème édition des Eurockéennes de Belfort.

Texte : Mathieu Marmillot – Mathieu Jeannette pour la chronique de Manson’s Child
Photos : Deadly Sexy Carl