Les albums de rééditions se suivent et ne se ressemblent pas : ce que VU réussissait avec brio, Another View le rate magistralement. Un disque à oublier en attendant des compilations ultérieures bien plus respectueuses de « l’esprit Velvet ».
Quand Verve publia le troublant VU, le succès commercial l’incita à renouveler le coup de la « collection of previously unreleased recordings. » Qui cracherait de bon cœur sur quelques semaines de classement dans les charts ? Encore moins lorsqu’il s’agit du Velvet Underground, improbable machine à cash. Toujours sous la supervision de Bill Levenson, Another View exhume de nouveau quelques chansons enregistrées entre 1967 et 1969, en particulier le matériel du fameux “grand album perdu”. A l’époque, le Velvet Underground cherchait à se dégager du contrat avec la MGM qui boucla aussitôt les chansons au coffre en bloquant les droits au passage, contraignant le groupe à bosser de nouveaux titres pour Loaded.
Pour ne pas se fatiguer, Verve reprit les mêmes notes et photographies de la pochette intérieure de VU. Apparence trompeuse… Alors que le premier opus donnait véritablement l’impression d’ouvrir une malle aux trésors, presque un album en soi de grand style, le fan eut l’impression ennuyée de se coltiner des fonds de tiroir pour le second, une collection éparpillée et fourre-tout de chansons au stade de l’ébauche. La déception tient aussi en grande partie au mixage de cette compilation. Pour l’album VU, la maison de disque avait consulté les membres du groupe, quitte à suivre certains de leurs avis. Cela n’empêcha pas de susciter tout de même quelques réserves chez les fans et les critiques. Cette fois-ci, Verve se garda bien de demander quoi que ce soit pour cet Another View vite ficelé et mal traité, au point de fausser son sujet. A quoi bon réveiller le fantôme du Velvet Underground si c’est pour le foirer comme la dernière vedette de MTV ?
Comme devant une vieille peau ayant trop forcé sur le dernier lifting, on ressent un malaise, un truc qui cloche, tant on peine à reconnaître la signature du Velvet Underground. Les chansons semblent irréelles et étranges, bien trop propres sur elles. Un comble pour un groupe coutumier d’un son crasseux, voire bruitiste. Ayant découvert l’album la première fois dans un magasin, Maureen Tucker fut bien décontenancée par l’écoute : « Je ne sais pas ce qu’ils lui ont fait. Ils l’ont rendu trop propre. Ils l’ont trop nettoyé. Je crois que Lou s’en est occupé un peu, mais je n’en suis pas sûre. » Et on s’empresse d’acquiescer bien volontiers car ce mixage des années 80 trouble, voire éteint le charme de chansons pourtant bien sympathiques. Pour le 45ème anniversaire de l’album The Velvet Underground, un copieux coffret présenta certains de ces titres dans leurs mixes d’origine de 1969, ou de nouveaux datés de 2014… corrigeant enfin ce ratage. Il était franchement temps…
Comme une promesse, le disque commence avec We’re Gonna Have A Real Good Time Together, une introduction sur des guitares nerveuses, des claquements de mains et des « NaNaNa » d’usage. Quelque chose d’étrange perturbe d’emblée, la chanson sonnant tellement lisse. Le remix de 2014, ainsi que les versions disponibles sur les Matrix Tapes, enregistrées en live à San Francisco en novembre 1969, percutent bien davantage. Quant à la reprise foutraque sur Street Hassle, elle finira d’enterrer bel et bien cette version bien trop propre. Puis Hey Mr. Rain apparait à deux reprises, se dévoilant comme un titre hybride, déphasé et chaotique. A la base, c’est une chanson folk que l’alto de John Cale déchire et harcèle avec sa maestria habituelle, toujours sur le fil du rasoir. L’édition de luxe de White Light/White Heat honore cette séance de torture galloise, avec des parties instrumentales bien vénéneuses. En comparaison, les versions de la compilation Another View sonnent aplaties et fadasses, ce foutu travers qui plombe l’album.
L’instrumental Ride Into The Sun traine à la cool, laissant l’impression d’une ébauche, d’une variation du classique Sweet Jane. Lou Reed reprit le titre sur son premier album chez RCA. En 2022, un album de démos enregistrées à l’époque offrit une bien meilleure version chantée par Lou Reed. Un autre instrumental, I’m Gonna Move Right In s’impose comme une chouette improvisation avec de bonnes parties de guitares, soutenues par la batterie bien présente. Avec plus de vigueur, la version de 2014 l’écrase sans conteste. Guess I’m Falling In Love balance du lourd sur les percussions brutes de Moe Tucker. Un garage rock très tendu et nerveux sur les guitares, très costaud avec une basse tenue par John Cale. Manque malheureusement la piste vocale. Encore une fois, on ressent une frustration… d’autant plus criante à l’écoute de la version live de 1967 avec Lou Reed au chant, disponible dans l’édition De luxe de White Light/White Heat… Sur le coup, ça cogne bien davantage avec un son plus gras et primitif, plus sale et jouissif.
Coney Island Steeple Chase s’écoute d’une oreille surtout que la voix de Lou Reed est victime d’un effet foireux, trafiquée de manière improbable, certainement le moment le plus malaisant de l’album. Le remix de 2014 remet les pendules à l’heure avec un chant enfin au naturel, une restauration salvatrice de l’outrage. Et c’est idem pour les pistes musicales qui retrouvent leur puissance. Parsemée de vocalises saugrenues, Ferryboat Bill se glisse ensuite comme une bizarrerie comique menée par un clavier qui déroule sans cesse dans un arrangement clownesque. Encore une fois, le mix aplati ne tient pas la comparaison avec celui de 2014… Au final, même l’immense Rock n Roll surprend dans une version cristalline et éthérée, décharnée, comme réduite à l’os. La version remixée de 2014 lui donne plus de chair et de consistance. Décidément, on ne s’en sort pas…
A l’évidence, Another View souffre d’un mixage malheureux, corrigé depuis dans des coffrets bien plus proches du son du Velvet Underground. Un ratage difficile à expliquer surtout après la sortie de VU qui vibrait de sa jolie flamme. A contrario, cette compilation opportuniste éteint le feu et foire le coup, paressant surtout avec une grosse flemme.
Amaury de Lauzane