Réaliser une comédie romantique « classique » tout en célébrant les exploits passés de la NASA et moquant les théories conspirationnistes, était un projet ambitieux et audacieux. Trop sans doute pour Greg Berlanti et son équipe…
L’introduction de To the Moon est absolument brillante : le personnage de Kelly, interprétée avec grâce, énergie et… « gourmandise » par une Scarlett Johansson en pleine forme (qu’on est heureux de retrouver enfin en train de faire son métier d’actrice), publiciste ambitieuse, manipulatrice, totalement séduisante et convaincante, nous renvoie pendant de longues et merveilleuses minutes à ces femmes modernes et conquérantes que jouait par exemple Katharine Hepburn à la grande époque des « screwball comedies ».
Ce modèle de la grande époque hollywoodienne est clairement une inspiration pour l’équipe de To the Moon, qui essaie de recréer la magie des meilleures comédies romantiques des années 40 et 50… Et pendant un bon moment du film, on pense que ça va fonctionner. Et ce d’autant que la reconstitution « historique » des sixties est soignée, avec une mention particulière pour les costumes, et surtout les tenues de Johansson, qui évoque souvent ici le fantôme gracieux de Marylin. Mais pour qu’une telle « rom com », comme on dit aujourd’hui, fonctionne, il faut un minimum d’alchimie entre les deux partenaires : or entre Scarlett, brillante, et Channing Tatum – un acteur limité, on le sait depuis toujours -, il n’y a clairement aucune alchimie, ce qui rend toutes les scènes amoureuses entre eux plates et pesantes…
La comédie romantique ratée (alourdie qui plus est par des considérations psychologiques sur la vérité et les mensonges, sur les traumatismes infantiles, toutes ces sortes de choses qu’un Howard Hawks n’aurait jamais mises dans un de ses films !), intéressons-nous au récit héroïque de la conquête de l’espace, et de l’exploit de l’alunissage d’Apollo 11 en 1969 : si le film s’amuse – mais finalement fait l’apologie – d’une hypothétique « commercialisation » de l’image de la mission afin de convaincre le grand public et les bailleurs de fonds de la validité du projet, on a le droit de se demander si To the Moon ne relève pas exactement de la même démarche, à une époque où les USA se relancent dans la conquête spatiale pour ne pas laisser la Chine prendre l’avantage dans ce domaine ? To the Moon aligne finalement pas mal de clichés sur l’héroïsme des astronautes, le génie des scientifiques et la couardise du gouvernement et des politiques : le spectateur prend beaucoup de plaisir devant nombre de passages cocasses, mais jamais aussi corrosifs, aussi audacieux qu’ils devraient l’être. Comment ne pas tiquer (au minimum !) devant cette scène où Cole, le patron du projet, convainc un homme politique réactionnaire de Louisiane de financer la NASA en lui expliquant que la science permet de mieux saisir la grandeur divine : alors qu’on se réjouit du « mensonge », voilà que Cole nous déballe sa « foi » ! Ou comment des scénaristes tirent une balle dans le pied d’un personnage déjà peu aimable et peu réussi, tout simplement parce qu’en 2024, aux USA, on ne peut pas se moquer de Dieu ou de la religion ?
Reste la dernière partie du film, sans doute inutile, trop longue également, et très peu logique, qui consiste à moquer la théorie conspirationniste voulant que l’alunissage n’a jamais eu lieu et que les images diffusées sur les écrans du monde ont été filmées en studio par Stanley Kubrick. L’idée de départ est intéressante – avec Nixon et ses sbires voulant être certains de surpasser les Soviets en « doublant », par précaution, la mission réelle d’une « mise en scène » en studio -, mais ses rebondissements sont trop improbables pour qu’elle fonctionne jusqu’au bout. On peut même prétendre que To the Moon marque un but contre son propre camp en rendant crédible cette idée absurde d’un filmage en studio.
Bref, Greg Berlanti – habituellement producteur de films et séries de super-héros, et réalisateur peu expérimenté – échoue progressivement sur chacun des composants du film, certainement trop complexe, trop ambitieux pour les compétences de l’équipe… mais aussi pour les limites de notre époque, où le courage d’aller jusqu’au bout d’un projet réellement corrosif (une critique de la publicité, de l’opportunisme des politiciens, de leur manque de vision) manque clairement à Hollywood.
Reste, et ce n’est pas rien, le plaisir de retrouver la grande Scarlett Johansson dans un rôle intéressant. Et ça, ce n’est pas rien !
Eric Debarnot