Il est de bon ton de se moquer des outrances de la Castafiore, de ses maladresses et de sa susceptibilité. Mais, ne vaut-elle pas mieux que cela ? Bianca a trouvé son défenseur en la personne de Pierre Bénard.
Hergé a créé un monde de héros masculins. D’ailleurs, vous les connaissez tous : Tintin et Haddock, Tournesol et les Dupondt, Coco et Tchang, Rastapopoulos et Szut … Ce monde fabuleux est persistant. Véritables archétypes, ces personnages sont entrés, du vivant de leur créateur, dans la pop culture. Nous connaissons tous de distraits professeurs Tournesol, de braves capitaines Haddock ou de trop purs Tintin… Que des hommes ? Non, pas tout à fait. Une femme, une seule femme, a échappé au destin de figurante qu’Hergé réservait au sexe que les anciens présentaient, indûment, comme faible. Vous avez reconnu la plus célèbre des cantatrices milanaises
Bianca apparait dans Le Sceptre d’Ottokar. Que ce soit pour quelques cases ou une simple citation, elle reviendra dans neuf albums. À plusieurs reprises, elle sauve la mise de Tintin et de Haddock. Avouons que nos héros ne lui seront guère reconnaissants. Au mieux, elle est oubliée, au pire, elle est méprisée par les tintinophiles. Le raisonnement est simple, mais spécieux. Si Haddock et Tintin la fuient avec un tel empressement, c’est qu’elle est insupportable.
Or, Pierre Bénard nous rappelle que des foules l’applaudissent, que des journalistes la traquent, que ses admirateurs la couvrent de cadeaux. Le bon Tournesol lui offre une rose et le maharadjah de Gopal une magnifique émeraude. Hergé lui proposera même un premier rôle dans Les Bijoux de la Castafiore. Si l’archétype de la diva italienne bruyante et narcissique s’est, lui aussi, imposé, Bianca est aussi courageuse et généreuse, distraite et émotive. Certes, elle peut être susceptible, mais elle ne saurait chanter faux. S’ils la fuient, c’est qu’Hergé nous cache quelque chose.
Pierre Bénard écrit bien et s’appuie sur une belle érudition. Il refuse de voir en sa Bianca une dragonne castratrice. Il lui préfère l’image de la fée. Une fée généreuse, mais incomprise. Une fée fragile, mais prisonnière de son miroir. Une fée aimante, mais malaimée. Une fée au destin solitaire.
« Cara, carissima Bianca, tu m’apparais finalement comme un rossignol perdu, s’époumonant au fond de la nuit dans un bois que son chant désole, par une sorcellerie dont il n’est pas le maître. Une sorte de malédiction s’attache à ses roulades, qui loin d’être une fête, élargissent autour de son arbre un cercle de solitude. » Pauvre Bianca.
Stéphane de Boysson