Suite au beau choc qu’a constitué pour nous la (re)découverte de l’album de Natacha Tertone, datant de 2000 et réédité cette année, nous avons eu envie de rencontrer Natacha pour qu’elle nous raconte cette histoire formidable. Et pour parler aussi d’avenir.
Benzine : « Natacha Tertone », ça fait un peu new wave, on imagine que ce n’est pas ton vrai nom ?
Natacha : C’est une partie de mon vrai nom, l’autre partie je ne l’utilise pas – même si en France, quand on te donne un nom, c’est pour la vie !
Benzine : Parle-nous un peu de ton parcours, pour en arriver à Natacha Tertone, justement…
Natacha : Le tout début, c’est mon parcours académique : 15 ans de Conservatoire, avec la flûte traversière comme instrument de base… Ça s’est arrêté très brutalement, suite à ce qu’on appellerait aujourd’hui un abus de pouvoir… J’ai dit « stop ! ». J’ai fait mes études dans la conception de projets culturels, et c’est par ce biais là que je me suis retrouvée à travailler dans une association qui favorisait les pratiques amateurs dans les musiques actuelles. J’y ai rencontré des gens, et par un concours de circonstances, je me suis retrouvée à manager un groupe de métal, c’était en 96, 97. Dans le groupe, il y avait Bruno, le batteur, qui est toujours là dans le projet Natacha Tertone. Un jour, je suis partie dans le Jura pour bosser pour le département comme chargée de mission dans le spectacle vivant. Même si je me suis sentie déracinée et que ça ne m’a pas plus, avec mes premiers vrais salaires, je me suis acheté un 4 pistes, et j’ai commencé à jouer avec un Bontempi durant mon temps libre ! En fait, j’étais « bloquée par la partition » : si on apprenait plein de choses au Conservatoire, on en sortait médaillée, mais à l’époque, on ne savait pas improviser… Au bout de 4 mois, je suis rentrée, j’ai fait écouter mes chansons à Bruno, qui a dit : « Ah, mais c’est trop bien ! ». Il a appelé ses potes pour réaliser des maquettes plus évoluées des chansons. La première cassette est sortie, et a été tout de suite choisie par un groupe d’amis qui avait le projet de mutualiser le travail d’artistes indépendants… Ce qui à l’époque n’était pas très courant ! Du coup, grâce à ça, je n’ai pas eu besoin de rechercher mes premiers concerts, de trouver un studio… J’ai pu enregistrer un 6 titres, qui est sorti en 1998. Tout ça a été rapide.
Benzine : Il y a donc eu une reconnaissance immédiate de ces chansons, non ?
Natacha : Le 6 titres était auto-produit, et donc la diffusion n’a pas été énorme, on n’en a pas vendu des tonnes, d’ailleurs il m’en reste encore ! (rires). A mon second concert, il y a eu un autre groupe d’amis, étudiants à l’EDHEC, qui sont venus me voir, et ont décidé de monter leur label et de me signer…
Benzine : Le conte de fées continuait !
Natacha : Oui… Et donc ce nom, « Natacha Tertone », pour y revenir, a été trouvé dans l’urgence. On a ouvert le dictionnaire à « CHA » et on a pris ce qu’on trouvait. Ça a aurait pu être Natacha Piteau ! Mais « Chatterton », il y avait un rappel de Bashung avec son album, d’une chanson de Gainsbourg, on était dans un univers de chanson française en marge, pas commerciale.
Benzine : L’album Le grand déballage est sorti en 2000 ?
Natacha : Oui, il est sorti sur le label « B pourquoi B », monté par ces deux ex-étudiants de l’EDHEC, et il a eu une belle vie. On a été signés en édition chez Sony et en distribution chez Naive. Mais si la montée a été fulgurante, la descente l’a été aussi…
Benzine : J’ai reconnu dans cet album quelque chose de Dominique A, je me trompe ?
Natacha : Ce n’est pas du tout une coïncidence : si je n’étais pas tombée sur lui, il n’y aurait jamais eu ces chansons. C’est en écoutant ce qu’il faisait que je me suis senti « le droit » de faire cette musique. En sortant de ma formation classique, j’avais une vision de la composition très élitiste, où il fallait avoir fait des études pour pouvoir faire les choses correctement. Et là, j’entendais des choses faites, pour certains titres, avec trois bouts de ficelle, qui me touchaient en plein cœur. Sa manière d’écrire et de chanter avait quelque chose de très libérateur.
Maintenant, on est partis très vite vers autre chose : l’étincelle était là, mais le résultat est le fruit de mon éducation classique, de mon intérêt pour la musique répétitive, ce genre de choses. Et des influences des personnes avec qui je travaillais, et surtout Bruno, métalleux, biberonné à Frank Zappa, à ce genre d’univers très riche où on abolit toutes les limites, on se donne le droit de faire tout ce qu’on veut. Pour l’album, on ne s’est donc rien interdit, y compris d’enregistrer des pistes qui étaient fausses les unes par rapport aux autres, ce qui faisait dresser les cheveux à notre directeur artistique, qui était un pur fruit de l’éducation académique. On a beaucoup utilisé de sérendipité, sans le savoir ! On a testé des choses, on s’est amusés et on a vu ce qui en sortait. Cet enregistrement est resté pour moi le meilleur moment de ma vie… en dehors de ma vie privée et de mes enfants… !
Benzine : Et qu’est-ce qui s’est passé, alors, avec cet album quand il est sorti ?
Natacha : Commercialement, je n’en attendais rien de particulier, mais il s’est bien vendu pour un album indépendant. On a fait une belle tournée d’une cinquantaine de dates, avec des festivals comme les Inrocks, les Nuits du Botanique, quelques festivals un peu plus « chanson ». Ça marchait bien, les problèmes sont arrivés au moment de l’enregistrement du deuxième album : des tensions artistiques au sein de l’équipe, entre les musiciens et le directeur artistique. J’étais écartelée, je n’ai pas réussi à prendre des décisions franches, je me suis retrouvée seule. Le label m’a alors annoncé qu’ils déposaient le bilan, à cause d’un problème avec un autre artiste. C’était le début de la crise du disque, j’ai fait le tour de maisons de disques, mais le projet était déjà engagé, un peu bancal, sans direction artistique bien assumée. Personne n’a suivi tout de suite, je me suis découragée, et ce d’autant que ce qui m’intéressait, c’était l’aventure collective et je me retrouvais toute seule…
Benzine : Alors, tu as arrêté ?
Natacha : En 2001, 2002, j’ai fait quelques dates, et petit à petit, j’ai lâché l’affaire. Je me suis dit : « Ne nous acharnons pas, si ça devient pénible, si ce n’est que douleur, il faut passer à autre chose ». Mon père venait de décéder, jeune, à moins de 50 ans, ça a été un choc de comprendre que la vie s’arrêtait si vie, ça a été une sorte d’appel de la nature : arrêtons les conneries, répondons aux injonctions de la société, faisons des enfants ! Je me suis occupée d’eux à temps plein, on a fait l’école à la maison, on a fait beaucoup de musique,… pas la même (rires). Et maintenant ils sont grands. Je suis revenue sur scène il y a 7 ans avec un spectacle pour enfants qu’on a monté. J’ai découvert que c’était chouette d’être sur scène avec un cadre, alors qu’à l’époque de Natacha Tertone, je changeais sans arrêt les orchestrations des chansons, ce qui fait que c’était toujours stressant, hyper dangereux ! Et l’année dernière, j’ai retrouvé Bruno parce que nos filles fréquentaient le même établissement scolaire. Ça faisait quelques années que j’avais envie de relancer le projet, mais je ne voulais pas le faire toute seule. Bruno m’a tout de suite dit « banco ».
Benzine : Et vous êtes repartis en revenant sur le premier album…
Natacha : La logique était de repartir de ce qu’on avait vécu de positif, et on s’est rendu compte que cet album n’était pas disponible sur les plateformes : on l’a remasterisé, avec l’aide de Sony. On a pu dire : « Coucou, on est revenus », et les concerts s’appuient aux deux tiers sur les chansons du grand déballage.
Benzine : Il y a déjà du matériel nouveau pour le prochain album ?
Natacha : Oui, la suite, on y bosse, c’est en cours, tout n’est pas fini. Et puis j’ai un réservoir d’une quarantaine de titres qui avaient été conçus pour le second album qui n’a pas abouti.
Benzine : A quoi peut-on s’attendre pour ce futur album ?
Natacha : Au niveau de l’écriture, je pense que c’est plus fouillé qu’à l’époque, même si j’essaie de rester dans le même type d’écriture, qui laisse des possibilités d’interprétation. Mais avec les années en plus, avec l’expérience, ma plume est sans doute plus affûtée. Musicalement, la grosse différence, c’est que je n’ai plus peur de faire des choses « jolies » : à l’époque, quand une mélodie un peu jolie arrivait, on la salissait, on la faisait jouer par des instruments qui ne la mettaient pas en valeur. Par contre, j’ai conservé le goût des instruments qui « grattent », le goût du collage. Garder une grande liberté, en dépit du formatage apporté par les outils modernes. En 2000, les tempos qu’on créait étaient des tempos complexes, et qui en plus bougent au cours du morceau : ces variations apportaient la vie, il faut garder ça en tête quand on travaille. Mais j’ai envie d’aller vers du beau, et de parler de choses qui font du bien. De me donner du courage à moi, et aux gens autour, de l’élan, de l’espoir… sans partir dans du Disney, quand même ! (rire)
Benzine : Est- ce qu’il y a des artistes actuels dont tu te sens proche ?
Natacha : Il y a une artiste qui s’appelle Julie Gasnier, dont j’aime énormément le travail. Elle a une créativité vraiment dingue. Tous les projets d’Armelle Pioline m’intéressent beaucoup. En plus connue, Zaho de Sagazan, même si on en entend beaucoup parler, et qu’elle n’a pas eu le temps de maturer, on attend de voir comment elle va évoluer. Il y a plus de femmes qu’à l’époque, ce qui m’encourage à me projeter dans une carrière… même si redémarrer à 50 ans, c’est autre chose.
Benzine : Oui, et non, regarde le retour de Beth Gibbons, c’est quand même aussi un retour, après une interruption, en tous cas dans sa visibilité… Et quel est le timing des prochaines étapes ?
Natacha : L’album ne sortira pas avant 2025, et plutôt dans la seconde moitié de l’année. Ça prend un temps de dingue de tout préparer. Même remonter sur scène, ça nous a demandé beaucoup de travail… On a d’ailleurs un peu de difficultés à trouver des dates, on n’a pas retrouvé une notoriété suffisante, mais on va s’accrocher. Il y a des dates qui se profilent en région à la rentrée, autour de Lille. Il y aura probablement une date à Paris, mais en formule solo, ce qui est une grande nouveauté pour moi : on a décidé ça il y a moins d’un mois, et on bosse dessus, avec Bruno…
Benzine : Alors tiens nous au courant pour qu’on ne manque pas ça !
Propos recueillis par Eric Debarnot le 27 juin 2024