« Le Couteau », de Salman Rushdie : de la lame aux larmes

Que pouvait faire Salman Rushdie de la terrible attaque au couteau dont il a été victime le 12 août 2022 ? Pas seulement des cauchemars et une collection de cicatrices. Il était écrit qu’il en ferait un livre. Ce dernier est indispensable, fatwa contre l’obscurantisme mais surtout un éblouissant récit personnel de survie.

RUSHDIE-Salman
© Rachel-Eliza Griffiths

Salman Rushdie nous offre avec ce récit un témoignage aussi sincère que chirurgical de sa reconstruction psychologique et physique qui m’a rappelé Le lambeau  de Philippe Lançon. Dans les deux cas, deux survivants qui ne se présentent pas comme des héros mais comme des hommes agressés pour ce qu’ils représentent et défendent, qui ne mettent pas de pudeurs sur les douleurs morales et corporelles, qui doutent mais qui s’accrochent et qui refusent de sombrer dans la haine pour ne pas perdre leurs âmes. le besoin de mettre des mots sur des actes effroyables participe à la posologie des écrivains … pour tourner un peu la page.

Salman Rushdie nous raconte ainsi sa tentative d’assassinat, sa passivité au moment de l’évènement, les frôlements de la mort, son retour à la vie, l’amour des siens, tous les soins apportés à sa tripaille agrafée, non sans ironie avec les trajets à contre-sens de sondes intrusives, ses peurs face aux incertitudes des diagnostics et ses réflexions sur… l’Autre.

Il ne nomme pas son assaillant, un mépris plus que mérité pour un être qui a perdu toute humanité. Salman Rushdie essaye de retracer le parcours de ce pathétique illuminé qui n’a pourtant pas la lumière à tous les étages, mais il se heurte au mur infranchissable de la bêtise. le récit est édifiant, ne manque pas d’élégance, d’humour et je recommande vivement le passage virtuose dans lequel l’auteur invente une rencontre fictive, à couteaux tirés si j’osais, avec son agresseur dans sa prison.

Le destin de Salman Rushdie est fascinant.

J’ai toujours été plus admiratif de l’homme que de l’écrivain. le réalisme magique de ses histoires ne m’a jamais touché. Quichotte avait été une grande déception, La Maison Golden n’était pas faite pour ma pomme,  Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, c’est Voltaire qui nous sert un Djinn. Shalimar le Clown et Les enfants de minuit me laissent de meilleurs souvenirs de lecture, mais je trouve que sa vie est de loin son meilleur roman. Il lui doit une grande partie de son immense célébrité, ce dont il a bien conscience et qu’il ne manque pas de regretter dans son livre.

La fatwa datait de 1989. Il avait conscience du danger mais avec le temps, peu à peu, on lui parlait de plus en plus de ses romans pour ce qu’ils étaient et moins des réactions qu’ils suscitaient de la part de tous les barbus fanatiques qui ne l’avaient jamais lu.
Salman Rushdie a perdu un oeil. Pas son regard.

Olivier de Bouty

Le Couteau. Réflexions suite à une tentative d’assassinat
Récit de Salman Rushdie
Traduit de l’anglais par Gérard Meudal
Editeur : Gallimard / Collection Du monde entier
272 pages – 23€
Parution : 18 avril 2024