Quelques jours avant l’ouverture de nos olympiades, Gradimir Smudja nous offre une biographie, hautement fantaisiste, de la première gloire de l’olympisme moderne.
En deux séquences, Jessy Owens a marqué à jamais l’histoire de l’athlétisme. Le 25 mai 1935, lors des Championnats universitaires américains, un illustre inconnu bat ou égalise six records du monde en seulement 45 minutes. En août 1936, en moins d’une semaine, dans une ville de Berlin acquise à l’idéologie nazie, un noir américain s’adjuge quatre titres olympiques : le saut en longueur, le 100 mètres, le 200 mètres et le 4 fois 100 mètres.
Au lieu de nous livrer la classique biographie d’un héros, Gradimir Smudja a, curieusement, choisi le ton de la fable pour nous décrire l’horreur d’une société esclavagiste, puis ouvertement ségrégationniste. Né en 1913 dans une fratrie de onze enfants, ce petit-fils d’esclave a lutté toute sa vie contre une société qui lui était largement hostile. Jessy court, court et court. Il court pour échapper à des sauterelles et à des oies. Il court, pourchassé par un ours ou une trombe. Poursuivi par un trio de policiers et une horde du Ku Klux Klan, il court encore. Il n’est aidé que par un mystérieux chat noir, un joueur de banjo, qui nous raconte son histoire. S’il provoque la colère des nazis, il souffrira bien plus de l’indifférence de Roosevelt qui refusera de le recevoir.
Si le ton peut surprendre, le dessin ralliera tous les suffrages. Smudja nous offre de somptueuses peintures, notamment d’extraordinaires doubles pages sur le travail des esclaves dans les champs de coton, sur une poursuite sur un pont de chemin de fer ou une improbable pyramide d’éléphants dans un cirque. Par sa joyeuse malice, le chat rappelle les meilleures créations de Pierre Probst. Le trait est précis et les complexes compositions souvent virtuoses. Loin d’être gratuites, la beauté de ses steamers à roues à aubes ou de ses fiers transatlantiques accentue l’horreur de sa condition et, plus largement, de celles des afro-américains.
Ce n’est qu’en 1976, que le président Gerald Ford lui remettra, enfin, la médaille présidentielle de la Liberté. Apaisé, Jessy Owens cessera de courir et, peu de temps après, mourra. Respect.
Stéphane de Boysson