L’été, période propice aux rattrapages, et en particulier des albums à côté desquels nous étions passés. Aujourd’hui, Tigers Blood de Waxahatchee, à écouter en boucle avant son passage à Paris, en concert à la Maroquinerie.
Alors que de ce côté de l’Atlantique, il semble normal aux jeunes musiciens de chercher l’inspiration en revisitant le Rock des années 70-80 (d’où l’infâme étiquette « post punk » dont s’affublent les plus paresseux), il faut reconnaître que l’évolution de la musique US est bien plus intéressante. D’un côté, nous avons une école « garage rock / psyché » qui a fait des merveilles au long de la décennie précédente et tourne un peu en rond, mais peut nous réserver encore de très belles surprises. De l’autre, et c’est notre sujet aujourd’hui, on constate un amour renouvelé pour les racines « folk », voire la country music, genre méprisé durant des décennies, mais qui semble aujourd’hui être un refuge pour les artistes les plus originaux.
Et c’est justement là que le sujet de Katie Crutchfield devient passionnant : sous le nom de Waxahatchee, elle nous propose Tigers Blood, son sixième album, loin de l’indie rock de ses débuts, mais les deux pieds franchement plantés dans la terre riche de la country music. Il faut savoir que, si en France, le nom de Waxahatchee n’évoque pas grand chose, aux USA, chaque album de la chanteuse a été accueilli par des critiques dithyrambiques (et oui, même par Pitchfork, ce gardien du bon goût moderne !). Projet solo débuté il y a près de quinze ans, Waxahatchee (du nom – indien – d’une crique de la rivière Coosa en Alabama, où Katie a grandi) a évolué au fur et à mesure que l’auteure-compositrice gagnait en maturité, se dégageait des clichés « rock’n’roll », arrêtait les abus d’alcool de sa jeunesse, et trouvait le chemin d’une musique simple et sincère. Une évolution progressive, au fil du temps et des expériences accumulées, qui constitue le grand sujet de l’album : armée de cette voix que l’on peut qualifier de « classique » – faite en tous cas pour chanter de la country music – Katie nous raconte ici douze histoires simples, revenant sur des moments – douloureux ou extatiques – de sa lutte pour mener son existence comme elle l’entend, tout en bataillant pour retrouver sa sobriété. Avec des mots forts, et une conviction de tous les instants qui en fait une sœur américaine de notre chère Courtney Barnett : car en dépit des intonations « deep south » de sa country music, Waxahatchee est une citadine, dont les soucis sont, comme on s’en doute, plus proches de nos champs de bataille émotionnels à nous que des préoccupations de l’électorat trumpiste.
Musicalement, on pourrait citer les influences de Tom Petty, mais surtout de Lucinda Williams, et parler de son amitié avec Kevin Morby : trois noms qui permettent à quelqu’un qui n’aurait jamais encore entendu une chanson de Waxahatchee de savoir à quoi s’attendre. Il y a d’ailleurs dans Tigers Blood comme dans tous ceux qui précèdent certaines chansons franchement accueillantes pour les rockers repentis (Ice Cold, par exemple, toutes guitares électriques dehors, batailleur et magnifique), et d’autres qui ne sont pas avares en mélodies sympathiques (Right Back To It, single impeccable, qui a des allures de futur « standard » country, bénéficiant en outre de l’aide du musicien réputé qu’est MJ Lenderman). Mais chacun des douze titre de l’album a son charme, qui capturera notre attention, voire notre cœur à un moment ou à autre : c’est à ça qu’on reconnaît un vrai album, fait pour s’installer durablement dans notre vie.
Ajoutons seulement que, après plusieurs écoutes attentives, ce sont les deux minutes et cinquante cinq secondes de Bored qui nous semblent cristalliser le plus clairement la singularité et le talent de Waxahatchee : « I lay out all the basic science / I try to make it fit, it’s mystifying / I can get along / My spine’s a rotted two-by-four / Barely hanging on / My benevolence just hits the floor / I get bored » (Je déballe toute la science de base / J’essaie de l’adapter, ça ne marche pas / Je peux me débrouiller tant bien que mal / Ma colonne vertébrale est une planche toute pourrie / J’ai du mal à m’accrocher / Ma bienveillance vient juste de se vautrer par terre / Je m’ennuie ». De quoi nous rappeler que Katie a démarré sa carrière musicale au sein d’un groupe de punk rock : si la forme a changé, l’angoisse reste la même.
Eric Debarnot