Gentle Ben And His Shimmering Hands – BRUT : « Knowlegde is power, wisdom is fear »

L’été, période propice aux rattrapages, et en particulier des albums à côté desquels nous étions passés. Aujourd’hui, BRUT de Gentle Ben And His Shimmering Hands, une bombe australienne qui détonnera à Binic ce week-end !

Gentle Ben

« Reputation is a double edged-sword / But a decent education is its own reward / Knowlegde is power, wisdom is fear / And good behaviour is just knowing what the cop wants to hear… » (La réputation est une arme à double tranchant / Mais une éducation décente est sa propre récompense / La connaissance est le pouvoir, la sagesse est la peur / Et bien se comporter, c’est simplement savoir ce que le flic veut entendre…)My Career

BrutLe type qui écrit des phrases comme ça, et qui en plus, les chante, vaut forcément la peine d’être connu. Or, en France, on n’est clairement peu nombreux à connaître Ben Corbett, un autre de ces Australiens inspirés, impériaux, fascinants, etc. (on peut continuer longtemps à aligner les épithètes, sans arriver même à approcher la vérité de l’homme et de sa musique). Pour faire court, disons que certains utilisent les mots magiques de « Nick Cave« , mais on en est finalement assez loin, hormis sans doute en termes d’intensité : musicalement, Corbett faisait ce qu’on étiquette comme du « swamp rock », quoi que ce soit que ça recouvre, et ses textes déploient un lyrisme plus terre à terre que ceux de Cave, même s’il ne refuse pas non plus les réflexions philosophiques au second degré. Le groupe de Ben Corbett s’appelait jusque là Gentle Ben & His Sensitive Side (soit « le gentil Ben et son côté sensible » !), et après une pause discographique de 10 ans, a été rebaptisé … & His Shimmering Hands (« et ses mains scintillantes » !) : le line up a changé, mais « l’approche musicale » aussi, d’après Ben, plus collective, désormais, plus organique aussi, moins perfectionniste sans doute. Bon, pour être honnête, Ben fait comme il veut, ce qui importe c’est le résultat. Qu’on tient entre nos mains, sous la forme de cet album littéralement incroyable, BRUT (et le mot de « chef d’œuvre » serpente discrètement au sein des fans qui se partagent sous le manteau cette merveille).

BRUT débute par un titre incroyable, De Bliksem, qui fera forcément partie des toutes meilleures choses que vous entendrez en 2024 : à cause de l’intensité, de la folie qui s’en dégagent, mais qui sont posées sur une mélodie impeccable, le tout interprété par un groupe sobre, efficace et tranchant comme on en raffole. De Bliksem est une chanson en l’honneur de Dan Sartain, crooner rock’n’roll méconnu qui s’est suicidé en 2021 (on se souvient l’avoir vu sur la scène du Bataclan en 2007, ouvrant pour les Hives !). De Bliksem concentre tout ce qu’on adore chez Corbett : c’est hanté et élégant à la fois, et si la rage et la folie s’invitent au détour d’une phrase, on n’est jamais dans la pose, la démonstration d’une « rock’n’roll attitude » caricaturale. Parfait, juste parfait.

Pour la suite, on ne peut pas dire qu’on redescende vraiment de niveau, même si on comprend bien que l’album ne contient pas dix De Bliksem : en fait, c’est peut-être mieux, car Gentle Ben & His Shimmering Hands déploient une palette plus large de styles musicaux que ce qu’on attendait a priori. Spices est plus dans l’esprit « swamp rock » caractéristique des aventures musicales précédentes, mais avec un supplément d’âme noire. Très noire : sur le vidéoclip, Corbett est un minuscule Sysiphe qui se prend pour un chien… Five Stars, avec son intro à la pedal steel qui le colore en country song, est surtout un superbe titre mélancolique sur laquelle Corbett déballe son talent de crooner classique. Tactical Empathy fait monter la pression, et souligne que le groupe peut aussi « envoyer du bois », et que « le gentil Ben » peut devenir aussi énervé et soul que, disons Samuel T. Herring de Future Islands, auquel on peut penser ici, vocalement : en live, ça pourrait faire une belle tuerie ! Mais, c’est le sublime My Career qui constitue le second sommet du disque (et pas le dernier…) : une mélodie merveilleuse, une ambiance à couper au couteau, un texte – on en a déjà parlé – exemplaire, du métal précieux dont on faisait les tubes, autrefois…

Murder Rehearsal ouvre la seconde face de la manière dont on doit ouvrir une seconde face, par une belle chanson pop rock efficace, qui montre à l’auditeur que le groupe n’a pas tout épuisé ses ressources avec les cinq premiers morceaux : « Everything swings on a single hinge / I got a tickle in my brain » (Tout pivote autour d’une seule charnière / J’ai quelque chose qui me chatouille dans le cerveau). Inquiétant quand même, non ? Gold Leaf rappelle sans honte les grandes chansons menaçantes d’Iggy Pop, histoire de rappeler que même sur un disque (relativement) calme come BRUT, l’héritage stoogien n’est jamais loin : pour nous, c’est là la troisième merveille du disque, mais on nous accusera d’avoir une faiblesse pour les barytons, ce que nous ne nierons pas. Cover To Cover (Dear Dolly) est le morceau un peu plus conventionnel qu’on attend en milieu de seconde face, mais le chant ultra-maniéré de Corbett parvient sans peine à transcender la relative banalité de la composition : « I got a crush on you / Control-Alt-Delete » (J’ai le béguin pour toi / Control-Alt-Delete) ! La splendeur revient avec l’élégiaque The Leech, qui fait le choix du lyrisme électrique, et qui serait la parfaite conclusion – de par son ambition et son final harmonieux – à l’album s’il n’y avait pas encore… No Encore (quatrième et dernier sommet de BRUT), justement : « We can see you breath / When you take out the mask » (On te voit respirer / Quand tu enlèves ton masque)… Car c’est bien plus beau de conclure comme ça, par la menace, par la terreur sourde, par le rock’n’roll le plus noir, le plus perdu…

Un disque magnifique, et c’est tout  !

Eric Debarnot

Gentle Ben And His Shimmering Hands – BRUT
Label : Spooky Records
Date de parution : 28 mai 2024

Gentle Ben And His Shimmering Hands joueront au Festival Folk Blues de Binic vendredi 26 juillet (Scène Pomellec) et samedi 27 juillet (Scène Banche).