Premier jour du formidable Festival de Binic, édition 2024 : une première journée sous le signe du rock le plus agressif et le plus moderne, avec au sommet Tramhaus et Delivery. Bien mieux que la cérémonie d’ouverture des JO, si vous voulez notre avis !
Retour à Binic, notre petit festival de Rock préféré, avec son incroyable connexion à la scène australienne (merci à la Nef D Fous !), qui permet à tous les amateurs de nouvelles musiques de goûter à ce qui se fait de mieux « Down Under » ! Ce vendredi est particulier au moins à deux titres : d’abord parce que les regards du monde sont concentrés bien loin de notre petite plage près de Saint-Brieuc, sur la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques à Paris, et ensuite parce que, du fait d’attentats contre l’infrastructure du réseau TGV, la circulation des trains est difficile, ce qui privera nombre de spectateurs venus d’ailleurs de participer à cette première soirée…
18h00 : Peut-être pour rappeler que le Festival de Binic a les mots de « folk » et « blues » dans son nom, on démarre par un set à la guitare acoustique de Jamie Hutchings, qui nous vient de Sydney. Bon, ce n’est pas du Blues, et pas vraiment du Folk, mais ça le fera quand même, non ? Jamie nous interprète pendant cinquante minutes des versions dépouillées de titres composés pour ses groupes antérieurs (Blue Bottle Kiss et Infinity Broke), mais surtout des chansons extraites de ses albums solos. Jamie a une excellente voix, et interprète ses morceaux avec force, conviction, voire intensité. Reste que tout ça a un goût d’apéritif en attendant que le public arrive à la Scène de la Banche (celle de la Grande Plage de Binic), et, ne connaissant pas son répertoire, on a du mal à se passionner et à rester attentif durant la durée entière du set. Bon, il aura une seconde chance de nous séduire, il repasse sur la même scène dimanche (car à Binic, nombre d’artistes se produisent plus d’une fois, ce qui est bien commode !).
19h30 : On passe à l’électricité et de Sydney à Melbourne avec The Judges, jeune quintette bien armé (avec deux guitaristes virtuoses du « riff ») très inspiré par les Stooges première époque, via la musique de leurs illustres compatriotes de The Saints (qu’eux-mêmes, en 1976, on jugeait assez « stoogiens »). Le chanteur a d’ailleurs une voix rappelant de manière intéressante celle du jeune Iggy Osterberg en 1969. Pendant trois quarts d’heure, ça va donc être la fête à la guitare, et ça va « bombarder sévère » avec de la musique parfaite à notre goût. Petit problème quand même, il semble que le grand concept de The Judges (c’est peut-être pour cela qu’ils ont choisi ce nom « sévère »), c’est que : « ici, on ne rigole pas ! ». Tout le monde tire la gueule (… même si vers la fin, l’un des deux guitaristes « trahira » et se mettra à sourire – on espère qu’il ne sera pas condamné et puni pour ça !), le chanteur prend un air tellement « bored » et dédaigneux qu’on se demande s’il n’est pas anglais, plutôt. Couronnement de cette posture « originale » : l’un de leurs potes vient s’assoir sur scène à côté du groupe pour lire un bouquin – « Les Aventures de Pinocchio » – en fumant sa clope comme si un déluge d’électricité n’était pas en train de s’abattre à deux mètres de lui. Bon, on imagine que c’est de l’humour, mais, à notre avis tout du moins, ça bride quand même la transmission de l’énergie musicale : alors que tout le monde, sur scène comme dans la fosse, devrait être excité, on a en effet l’impression d’assister à une audience judiciaire passablement austère. Du coup, même si la musique de The Judges est excellente, on ne pourra pas dire qu’on a passé un moment particulièrement stimulant.
20h50 : Paradoxalement, on va vivre exactement l’expérience inverse avec C.O.F.F.I.N : voilà un groupe qui n’a pas inventé le pain en tranches, mais manie le couteau de manière particulièrement efficace. Une précision d’abord : les petits points après les lettres composant le mot « cercueil » indiquent qu’il s’agit là d’initiales des mots d’une phrase, qui est « Children Of Finland Fighting In Norway ». Bon, comme le quatuor est originaire de Sydney, on n’est pas sûr de ce que les conflits en Scandinavie viennent faire là-dedans, mais peu importe, c’est malin. Musicalement, on est devant un heavy metal interprété dans un bon esprit punk rock, à moins que ça ne soit l’inverse. D’ailleurs, le T-Shirt Motörhead porté par l’un des deux guitaristes est une référence des plus pertinentes. Mentionnons pour l’anecdote les généreuses bacchantes du bassiste, qui l’apparient aux défenseurs d’un vaillant petit village gaulois résistant à l’envahisseur, pas très loin de Binic ! Sinon, d’après C.O.F.F.I.N, le meilleur groupe australien du monde est AC/DC, dont ils reprendront un titre, Riff Raff. Musicalement, on l’a dit, on est dans ce qui est un peu du tout-venant dans le genre, sans morceaux particulièrement notables, mais le tout est joué avec énergie, conviction, sincérité, générosité même… ce qui a pour conséquence d’enflammer rapidement tout le public. Un mosh pit furieux se forme – le premier de la journée – et ça secoue très fort dans la foule. A noter, au-delà d’une setist largement consacrée au dernier album, Australia Stops, une conclusion du set particulièrement passionnée, White Dog, défendant les droits des aborigènes dans la société australienne… Gros succès donc pour C.O.F.F.I.N, un succès mérité puisqu’il s’agissait d’allumer la flamme (qui n’a rien d’olympique, celle-là) et de réellement faire démarrer les hostilités à la Scène de la Banche. Mission accomplie !
22h15 : C’est le groupe que nous attendions en cette première journée de Binic : Tramhaus, les Hollandais Violents, et fous au demeurant. Ils avaient électrisé Lévitation à Angers il y a un peu plus d’un an, et alors que nous attendons la parution de leur premier album, prévu pour septembre, nous avions hâte de les revoir sur scène. Bon, n’y allons pas par quatre chemins : nous n’avons pas été déçus, ils ont même littéralement atomisé le festival, avec un set d’une intensité, et surtout d’une violence, que nous n’attendions pas. En un an, le groupe a incroyablement évolué sur scène ; ce qui était à l’époque un enchaînement de chansons dansantes, pop, gaies, traversé de pics d’intensité surexcitants est devenu désormais une tuerie jusqu’auboutiste, un laminage de nos sens via deux guitares extrémistes (l’une dans la dissonance, l’autre dans le noise grinçant), tandis que le chanteur – pourtant jaggerien en diable, toujours – nous gratifie de hurlements. Et malgré ce niveau d’intensité permanente remarquable, le groupe arrive de manière quasi surnaturelle à encore faire monter la pression. I.M.P.R.E.S.S.I.O.N.N.A.N.T. (et ce ne sont les initiales de rien du tout !).
Le côté négatif de cette irrésistible démonstration de force, c’est qu’on n’entend plus les paroles, pourtant excellentes, des morceaux, que l’on reconnaît à peine, laminés et passés à la chaise électrique comme ils le sont : c’est ainsi qu’on se rendra compte à la fin qu’ils ont joué en milieu de set l’intégralité (et dans l’ordre) de leur EP de 2022, Rotterdam, sans que nous nous y soyons réellement retrouvés. Bref, Tramhaus sont devenus un groupe de scène radical et immense, avec lequel il faudra compter dans les années qui viennent.
Après ça, on a presque envie de décider la soirée terminée, tant il sera impossible de surpasser une telle intensité, mais des amis, qui ont vu Delivery au Supersonic quelques jours plus tôt, nous conjurent de rester ! Et, heureusement, nous allons suivre leur conseil. Heureusement, car le jeune quintette australien va nous asséner une seconde claque après celle de Tramhaus, et ce dans un registre également pop et ultra-bruyant, mais finalement très différent.
23h30 : « Nous sommes Livraison » ! Les jeunes punk rockers de Melbourne, dont on murmure sous le manteau qu’ils sont le meilleur nouveau groupe australien, font l’effort de parler français, et déboulent dans la joie – d’être ici, et ça se voit – et avec la rage de convaincre. S’ils ont assisté au set de Tramhaus, ils savent qu’ils doivent frapper fort. Et ils vont frapper très fort. Avec une musique pas loin d’être géniale avec un mélange parfaitement bien dosé de dissonances avant-gardistes, de décharges électriques speedées, de martellements glitter rock martiaux, d’hymnes à brailler en chœur, de mélodies bien troussées… Bref, tout ce qu’on aime. Leur dernier album, Forever Giving Handshakes, date de deux ans déjà, le nouveau doit sortir, et ce seront principalement ses nouveaux titres qui constitueront la setlist de ce soir. 45 minutes de plaisir sans réserve, visiblement partagé par les musiciens, si ce n’est qu’à cette heure-là, une partie du public est bien imbibée, et que les comportements dans la fosse deviennent brutaux, voire parfois inacceptables : c’est très dommage, car, vu la pression dans la foule, certains préfèrent déclarer forfait avant la fin du set. Du coup, on est en droit de se dire qu’avec son succès, le festival devrait envisager de passer à des prix plus adaptés, plus « raisonnables » (dans ce cas, plus élevés) afin qu’un certain tri se fasse entre amateurs de musique et opportunistes venus picoler.
Mais bon, au-delà de ce coup de gueule, bravo à Delivery qui viennent en effet se positionner comme l’un des grands espoirs musicaux du moment.
Il est grand temps de quitter la plage de Binic, pour quelques heures de repos afin d’être fin prêts pour la seconde journée !
Texte et photos : Eric Debarnot