Seconde journée magnifiquement diversifiée au Festival de Binic : sans grande surprise en fait pour les connaisseurs, Gentle Ben and His Shimmering Hands et The Kill Devil Hills ont enthousiasmé la Scène de la Banche !
Les premiers arrivés (après nous…) devant la Scène de la Banche se seront sans doute étonnés ou amusés de nous retrouver au même endroit qu’hier, accrochés comme des berniques à notre barrière chérie, légèrement sur la droite. Prêts pour une seconde journée du Binic Folks Blues Festival, riche de promesses, et sous un ciel breton plutôt clément – régulièrement bleu même.
16h30 : On attaque la journée par un groupe singulier, Kino Motel, mi-australien, mi-berlinois comme son nom l’indique partiellement. Au cœur du groupe, un duo dont une moitié est constituée par Ed Fraser (vu avec Cash Savage) et l’autre par Rosa Mercedes (joliment souriante) : les voix, très grave pour l’un et très légère pour l’autre, constituent une belle partie de l’alchimie de Kino Motel, et on dirait presque qu’ils n’en usent pas assez, et devraient – pour notre plaisir – plus avoir recours à des constructions ou des associations vocales… Formellement, on est dans une sorte de dream pop déconstruite, qui plus est cisaillée par des interventions rageuses et souvent dissonantes à la guitare de Fraser : une musique tour à tour planante et dérangeante – surtout que le chant de Fraser n’est pas toujours d’une justesse suffisante – qui séduit sur certains très beaux morceaux et ennuie sur d’autres – trop longs. On sent que quelques pics d’intensité aideraient à maintenir notre attention pendant les 50 minutes du set. C’est en tous cas une musique originale, franchement audacieuse même par moments, donc un doux plaisir dans l’agréable chaleur de cette après-midi à Binic. On remarquera le bonheur des musiciens se congratulant longuement à la fin, montrant qu’on a affaire à un projet encore débutant – au moins dans le format « groupe » : bien sympathique !
17h50 : Gentle Ben & His Shimmering Hands, c’est notre grosse, grosse attente de cette seconde journée de Binic, et nous ne serons pas déçus. Démarrage en force, avec un Ben Corbett qui est déjà à 200% des capacités humaines ordinaires dès les premières minutes du set : on craint rapidement pour son intégrité physique quand on voit les cabrioles qu’il fait, et surtout pour ses genoux qu’il malmène de manière absurde (à la fin ce sera son pantalon qui lâchera, heureusement, au tout dernier morceau !). Bref, le genre de nature surhumaine qui fait les grands rockers, « à l’ancienne » dirons-nous. La musique, elle, est parfaite, comme sur BRUT, le magnifique album qui nous a immédiatement convaincus : le trio des « mains scintillantes » joue classe, dur et tendu, comme pour compenser les tendances à l’excès de leur leader. Le son est parfait – mais il faut le dire, le son est absolument parfait à Binic sur TOUS les sets, bravo à l’équipe technique ! Corbett demande rapidement qu’on arrête la fumée et les lumières blanches stroboscopiques (« On est des vieux, on ne voit rien, et puis on va avoir une attaque ! »), ce qui améliore encore la visibilité en plein soleil. De Bliksem, immense chanson, est la tuerie attendue – même si on aurait préféré qu’ils nous la gardent pour la fin (« la chanson de la journée ! » jure une amie !). L’hommage à Fred (le batteur de SixFtHick, le groupe précédent de Ben, décédé récemment d’un cancer) est bouleversant, et le guitariste – qui porte d’ailleurs un t-shirt noir portant le nom de Fred – en a les larmes aux yeux : on mentionne ce moment, très personnel pour les membres du groupe, pour illustrer le fait que Gentle Ben, c’est avant tout, derrière les mimiques et les postures d’un show « psycho », de l’émotion pure. Du rock « à l’ancienne » dans le bon sens du mot, qui met l’humain au premier plan, et qui fait que leur musique résonne très profondément en nous. En plus d’être très spectaculaire, bien sûr. Ben désigne une croix dessinée dans le ciel bleu par les traces croisées de deux avions et dit : « Vous voyez cette croix dans le ciel, c’est pour indiquer cet endroit, car il n’y a nulle part sur terre où nous préférerions être qu’ici ! ». Le set d’une heure – les cinquante minutes imparties seront dépassées plusieurs fois aujourd’hui, sans que la ponctualité du festival en souffre, grâce au professionnalisme des équipes – se termine par un sublime No Encore, puis par une décharge rock garage pour faire bonne mesure. Il va être difficile aux suivants de faire mieux, de faire plus fort !
19h10 : Et comme il est difficile de faire plus fort, eh bien Ben Salter va faire plus doux. Démarrant dans un soupir son set en duo, le songwriter basé en Tasmanie va nous cueillir en deux coups de cuillère à pot : on est d’abord réservé devant ses chansons d’une infinie subtilité, chantées d’une voix parfaite – on pense à Guy Garvey de Elbow, pour vous donner une idée du niveau ! – et puis, progressivement, la magie opère pour ne plus nous lâcher. Jouant dans un format duo, avec Jethro Pickett, un camarade musicien de Tasmanie aux claviers, Ben Salter s’avère un auteur compositeur d’abord séduisant, puis peu à peu totalement renversant : des titres comme Stats ou Nice Work If You Can Get It, pour n’en citer que deux, parmi la douzaine de gemmes interprétées, sont fascinants. Au point qu’on se demande comment un type avec un tel talent n’est pas devenu une icône de l’Indie Pop globale ? Manque peut-être d’un groupe autour de lui qui lui permettrait de rendre ses chansons plus spectaculaires ? Isolement géographique d’un compositeur trop prolifique pour les standards de l’industrie ?
A noter les grands « Je t’aime » jetés par Ben à Ludo (Ludovic Lorre), l’organisateur de ce fantastique Festival de Binic, et spécialiste / défricheur du Rock australien, révéré visiblement par tous les musiciens, puisque tous les groupes le citeront et lui demanderont (en vain !) de venir les rejoindre sur scène pour saluer… On en profite donc pour remercier nous aussi Ludo de nous offrir ce genre de moments bénis !
20h30 : On revient sur un terrain a priori un peu plus connu, celui du Rock Garage Psyché, avec les… Danois de Gob Psychic. Danois, oui, mais se réclamant eux-mêmes inspirés par le rock australien. Ouf ! On est rassuré ! Blague à part, ce qui commence dans les codes déjà bien éprouvés du Garage Psyché prend rapidement une dimension plus impressionnante grâce à la virtuosité des musiciens – mis à part l’organiste blondinet, très amusant, qui fait surtout le show – et en particulier de l’un des guitaristes, spectaculaire. Et surtout grâce à l’énergie d’une musique au tempo encore plus élevé que ce qui se fait d’habitude dans le genre. Frénétique, la musique de Gob Psychic est un pur régal des sens, et on assiste, logiquement, au premier moshpit de la journée. Et quand on pense qu’ils sont au maximum, ils accélèrent encore, avec un morceau punk millésimé irrésistible. Bref, ils n’ont joué que quarante minutes sur les cinquante prévues, mais ils ont brûlé toute la gomme et nous ont laissés sur les jantes. On espère les revoir très vite, ils auront en tout cas remporté haut la main la médaille d’or du FUN de cette seconde journée de Binic !
22 h 00 : Second « gros morceau » de la journée, The Kill Devil Hills, à nouveau dans un registre très différent, quasiment une rupture de ton par rapport au reste : une impression – surprenante, en fait – de se trouver devant un groupe qui joue à un niveau « supérieur » aux autres, avec ce genre de « professionnalisme » (qui souvent nous fatigue, d’ailleurs) de musiciens d’envergure globale. Le son est absolument stupéfiant de beauté – même si, on l’a dit, le son est excellent à chacun des sets sur la Scène de la Banche -, les lumières impressionnantes (la nuit tombe franchement), et on est devant un véritable spectacle livré par des musiciens techniquement redoutables : l’intro est absolument démentielle, avec un fracas d’instruments qui ne donne pourtant jamais le sentiment d’être chaotique, et un batteur qui détruit tout (un batteur qui est réellement la STAR du groupe sur scène, aussi bien par son jeu cataclysmique que par ses backing vocaux « féminins » parfaits). On reste stupéfait devant cette maîtrise étonnante du délire apocalyptique, avec, évidemment, des réminiscences des Bad Seeds à leur plus furieux… Et ce, d’autant que le chant de Brendon Humphries évoque régulièrement celui de Nick Cave : une comparaison inévitable, parfois un peu gênante, mais sur laquelle il faut fermer les yeux pour apprécier, à sa juste mesure, ce set grandiose.
Fondamentalement, d’ailleurs, ce n’est pas un problème, car la musique de The Kill Devil Hills est très différente de celle de Nick Cave, ancrée dans l’Australie profonde plutôt que dans la musique américaine, et les thèmes explorés n’ont rien à voir non plus. La setlist mélange six titres du nouvel album (dont le redoutable This is Karrakatta dans une version un peu moins « tribale », et le puissant Atomic Kitty…) à des titres plus anciens, réussissant à varier les atmosphères en restant totalement cohérente du point de vue formel. Le groupe a droit, lui, à un rappel, et nous livrera un set d’une heure cinq minutes environ : une musique ambitieuse, originale, très spectaculaire, qui fait qu’on s’interroge forcément sur la raison pour laquelle elle n’a pas réussi à être encore reconnue au niveau international.
23h30 : On se demande du coup si on va rester tout le set de CLAMM, qui furent à leurs débuts nos petits chouchous, mais qui poursuivent un chemin assez classique dans une forme punk hardcore, sublimée par la colère qu’ils manifestent sur des thèmes politiques, sociaux, ou simplement humains. Le set démarre avec un peu de retard, du fait de problèmes techniques – heureusement imperceptibles pour nous, le public – qui prendront un peu de temps, même après le début du set, à être résolus.
Le trio de CLAMM est maintenant passé à un niveau supérieur, et est devenu une redoutable machine de guerre : il a tôt fait de créer un moshpit particulièrement agité devant la scène. Le son est monstrueux et il est, de fait, difficile de résister au plaisir d’une telle agression sonique, et de paroles hurlées avec autant de conviction ! Les meilleurs moments de leur set d’une heure (avec rappel !) seront toutefois le nouveau titre Define Free où le rythme se ralentit pour adopter un martellement bien lourd, ainsi que deux morceaux où le groupe introduit des beats et des sons électroniques sur lesquels ils posent leur fureur punk : une nouvelle approche, qui promet un bel avenir à un groupe qui, sinon, aurait clairement fait le tour de sa formule.
Il est déjà plus de minuit et demi, temps de rejoindre nos lits pour essayer de récupérer assez de forces pour le lendemain, troisième et dernier jour de ce Festival béni.
Texte et photos : Eric Debarnot