On pensait avoir affaire à une énigme policière à la Agatha Christie transposée dans une banlieue US de la classe moyenne, mais Là où gisait le corps s’avère un livre touchant sur la difficulté d’être et la quête de l’amour. Passionnant…
Pour ceux qui ne seraient pas familiers du genre (c’est d’ailleurs notre cas), il faut commencer par rappeler qu’Ed Brubaker est l’un des plus grands scénaristes de comic books, ayant déjà reçu 8 « Eisner Awards » depuis ses débuts, qui se sont effectués d’ailleurs dans le genre policier avant de devenir l’auteur reconnu qu’il est aujourd’hui sur le « marché » des super héros. Là où gisait le corps n’est pas une histoire de super-héros, même si l’on y voit une adolescente déguisée en en super-héroïne courir à travers les rues tranquilles de la banlieue de classe moyenne où Brubaker a situé son histoire. Ce n’est d’ailleurs pas non plus, ou plutôt pas vraiment, une histoire policière, même si son titre, sa couverture et son introduction avec présentation des personnages « à la Agatha Christie » transposée aux USA, et même sa carte de Pelican Road le laissent croire. C’est plus et mieux que ça…
Là où gisait le corps commence en juin 1984 avec une altercation violente qui nous présente les trois personnages centraux du drame qui va se jouer, Palmer – prompt à dégainer son badge de flic -, Karina, adolescente qui part en vrille, et Tommy, le copain amoureux secret de Karina : tout cela est observé, comme de bien entendu, par les voisins de Pelican Road, la rue où tout se passe. A partir de ce point de départ « anodin », Brubaker nous fait suivre en mode flashback depuis le présent (où le narrateur – et la police – enquête sur un corps retrouvé à un endroit différent de là où il « gisait » à l’origine) l’existence d’un petite bande de personnages hétéroclites, qui vont tous se trouver liés, à la suite de coïncidences malheureuses, par le même drame.
C’est absolument magistral dans la conduite du récit, à la fois complexe, intriguant et profondément satisfaisant, jusqu’à une résolution de cette fameuse énigme qui n’en est pas une, livrée après le mot « fin », ou presque : chapeau Mr. Brubaker ! On comprend que vous soyez désormais appelé à scénariser des Séries TV (Westworld, Too Old to Die Young…).
Mais, en fait, Là où gisait le corps est encore plus et mieux que ça : au fur et à mesure que l’on progresse dans le récit, on réalise que Brubaker nous embarque dans ce qu’il qualifie lui-même – dans une excellente postface – « d’histoire résumant les différents aspects de l’amour er la façon dont nous nous conduisons quand nous sommes pris dans cet engrenage ». On sort du livre bouleversé, mais également ravi par la richesse d’un récit qui nous amène, mine de rien, à réfléchir sur notre propre trajectoire dans la vie, sur ce que nous avons laissé derrière nous, sur ce qui n’est pas advenu…
Tout cela est mis en image de manière efficace par Sean Phillips, dessinateur britannique de Comics, sans que, à notre avis au moins, il n’apporte grand chose de plus à une histoire qui tient debout toute seule. Et la traduction est de Doug Headline, le journaliste bien connu, mais également le fils de Manchette, ce qui nous semble parfaitement pertinent.
Une très belle lecture.
Eric Debarnot