« Je suis de mon enfance comme d’un pays », écrivait Antoine de Saint-Exupéry, qui comme Frédéric Bihel, avait la nostalgie créative. Un très bel album.
2022, Frédéric Bihel retourne avec sa mère sur les lieux de son enfance. Il avait 6 ans en 1971 et, pour la première fois, entrait à l’école de Château-Chervix, une petite commune rurale du Limousin. Le Frédéric adulte se souvient de la rentrée de classe, de la timidité et de du bégaiement du Frédéric enfant, de Paul son voisin et copain, de la ferme toute proche et de Gabi, le père de Paul. Il se rappelle aussi des albums de Walt Disney et des Pif Gadget, qu’il parcourait sans savoir lire. Comme son père, il aimait déjà dessiner.
Souvent en pleine page, ses crayonnés très précis recréent avec une étonnante précision des paysages disparus. Le trait est sûr et les détails justes. De rares touches de couleurs mettent en valeur une fourgonnette à nez de cochon bleue, le rose de la gomme, la Volvo jaune de son père, de rares jouets ou le pullover rouge de la petite voisine. La mémoire semble s’être arrêtée sur des éléments futiles. Je me perds dans les dessins, mêlant mes propres souvenirs, contemporains, aux siens. Mes parents possédaient une 204 break verte, mon premier vélo était rouge et nous habitions alors dans la Haute-Garonne.
Un matin, au lieu de descendre pour rejoindre la fameuse camionnette bleue de ramassage scolaire, Frédéric découvre le grenier. Il s’y assoie et attend… La journée s’écoule sans qu’il ne soit découvert. Il y gagnera une semaine de totale liberté avant que le directeur de l’école ne signale son absence. Là-haut, il rencontre une petite fille blonde, étrangement familière. Ensemble, ils jouent, puis dessinent…
Les repères temporels se brouillent. « En ces temps lointains, chaque jour est un continent à lui tout seul, absolument pas relié à des noms de mois ou de saisons. » Au fil des pages, la mémoire oubliée de Frédéric se reconstitue, tentant de combler les vides et les manques, nous découvrons un père lointain, des déménagements successifs et des dessins perdus… L’émotion gagne le lecteur. Retourner dans le passé n’est pas sans douleurs. Pour autant, son histoire est touchante et cette invitation au voyage pleine de charmes.
Stéphane de Boysson