On connaît et on admire la vitalité et la rudesse du cinéma roumain, et Tigresse en est encore un bel exemple, même si Andrei Tănase, pour son premier long-métrage préfère une approche plus mesurée, plus subtile pour son beau portrait de femme en pleine crise.
Dans le brillant nouveau cinéma roumain, dont la vitalité a explosé après la « démocratisation » du pays, ce ne sont pas les portraits de femmes, et de souvent de femmes fortes, luttant contre les institutions corrompues, le système politique défaillant, les traditions oppressives, qui manquent… Le titre même de Tigresse, choisi par Andrei Tănase pour son premier long-métrage (qu’il a donc écrit et réalisé) laisse entendre que Vera, son héroïne, va sortir ses griffes, et que le parallèle entre cette jeune femme, vétérinaire travaillant également dans le zoo de la ville, et Rihanna, la tigresse qu’elle a laissé s’échapper et qui terrorise les voisins, va être lourd de sens.
Mais Tănase est plus malin que ça, et va se refuser à suivre les sentiers désormais bien battus du pamphlet politique ou féministe. Certes, Vera en a plus que marre de Toma, un mari qui manque, lui, de combattivité, et préfère séduire ses jeunes étudiantes de 19 ans : il va bien falloir qu’elle se sorte de ce couple qui ne fonctionne plus, surtout depuis la mort très précoce de leur bébé, auquel l’église orthodoxe refuse une sépulture. Vera a les nerfs, et elle doit en plus empêcher que la police ou le chasseur du coin – tous ces mâles à la gâchette rapide – ne tuent la tigresse échappée avant qu’elle ne puisse l’endormir avec une seringue hypodermique.
Tigresse déploie avec sobriété et efficacité – en quatre-vingt minutes seulement – un bon nombre de situations dramatiques, au milieu desquelles Vera se débat comme elle peut, de plus en plus déterminée à prendre en main son destin. Mais le chemin de sa « libération » sera plus long que la durée du film, qui l’abandonne en route (mais sur la bonne route, clairement). Certains combats ont été gagnés, d’autres perdus, et il en reste encore bien d’autres à livrer. La symbolique « animaliste » a fait long feu, et même la morsure d’un serpent ne vient pas facilement à bout de la toxicité masculine.
Tigresse n’est pas un film qui impressionne particulièrement : il refuse les temps forts, le spectacle, les raccourcis simplificateurs aussi, et on se dit même parfois que Tănase, avec un sujet aussi riche, aurait pu nous offrir quelque chose de plus mémorable. Est-ce que, pour autant, Tigresse est une déception, une œuvre qui ne va pas au bout des défis qu’il s’est fixé ? Non, sans doute pas, d’abord parce que l’interprétation de Catalina Moga est remarquable, et ensuite parce que le choix, courageux, étonnant aussi, qui a été fait, est de ne nous montrer que quelques moments particuliers de sa vie…
… Qui continue après que l’écran soit devenu noir (il reste d’ailleurs à Eva 6 kilomètres à parcourir à pied pour rentrer chez elle).
Eric Debarnot