Bouclée en 6 épisodes seulement, la conclusion de l’ambitieuse série Umbrella Academy prend acte, sans regrets, mais avec beaucoup de négligence, de l’échec du projet. De ses personnages comme de ses producteurs.
Mis en ligne le 8 août 2024, la saga de la famille Hargreeves se termine le 8 août 2024 (« un jour parfaitement ordinaire », nous dit la voix off sur les dernières images de la série, un spectacle de bonheur ordinaire dans un parc ensoleillé) : au delà du clin d’œil bienvenu, on peut lire dans ce raccord de l’univers spatiotemporel de Umbrella Academy avec le nôtre, quelque chose de plus significatif, en tout cas pour une série dont l’un des grands sujets aura été la multiplication de mondes parallèles (les « timelines » de l’histoire) pour permettre à la Terre d’échapper à une apocalypse promise (et inévitable) : et si ce que nous disent Steve Blackman – un showrunner très critiqué en ce moment, d’ailleurs, et qui aurait été viré par Netflix ! – et son équipe de scénaristes – pas très professionnels sur ce coup-là -, c’est que notre monde à nous peut peut-être échapper au désastre à condition de ne pas succomber à l’attrait de s’appuyer sur des « superhéros » providentiels pour résoudre tous nos problèmes ? Sans (trop) spoiler, l’excellente idée de cette dernière, et courte, saison (6 épisodes au lieu des 10 habituels), c’est de nous rappeler que la solution est bien souvent le problème, et que ceux qui prétendent nous sauver sont bel et bien ceux qui génèrent le danger en premier lieu. Soit une lecture politique d’actualité – pas très éloignée de celle de The Boys, en fait (un The Boys dont Umbrella Academy emprunte cette fois le côté gore décomplexé, d’ailleurs !) – qui ne manque pas d’intérêt… Même si elle est très éloignée – voire contradictoire – par rapport à la vision initiale de la géniale BD de Gerard Way et Gabriel Bá, où l’on se souciait surtout de la manière dont les membres d’une famille dysfonctionnelle, pour cause de manque d’amour reçu pendant l’enfance et d’abus paternels, pouvaient littéralement « survivre » à leurs traumas.
Mais revenons à l’histoire, qui se boucle ici définitivement, d’une manière assez différente à ce que les fans pouvaient anticiper (et espérer ?). Lorsque cette dernière saison débute, tous les membres de la famille Heargraves sont prisonniers depuis 5 ans dans une nouvelle version de notre monde, où ils n’ont plus de super-pouvoirs (alors que le super-« villain » qu’est leur père est cette fois une sorte de milliardaire/homme politique omnipotent, peut-être inspiré par un Elon Musk ?). Ils mènent – séparément – une vie ordinaire, plutôt médiocre d’ailleurs, qui nourrit de gags doux-amers la quasi totalité du premier épisode, pas loin d’être le meilleur des six : d’ailleurs le titre – ironique ? – en est The Unbearable Tragedy of Getting What You Want (l’insupportable tragédie d’obtenir ce qu’on désire)… Jusqu’au jour où ils vont devoir reprendre du service face aux agissements d’une bande de complotistes – menés par les hilarants Jean et Gene – persuadés que la réalité dans laquelle ils vivent n’est pas LA réalité (Il y a un peu quelque chose de « PhilKDickien », là dedans, non ?). Et cette fois, ils vont affronter une menace « existentielle » définitive !
Au crédit de cette dernière saison (en sachant qu’il y a peu de choses à mettre à son crédit), on peut citer sa détermination à atteindre sa conclusion sans trop tergiverser et s’égarer le long de fils narratifs inutiles, comme ce pouvait être le cas dans les saisons précédentes. D’ailleurs, la seule digression, celle de l’épisode 5 (Six Years, Five Months, and Two Days), s’avère le plus beau moment d’émotion – le seul ? – de toute la saison.
L’énorme problème de cette saison – qui peut réellement nous faire détester le travail de Blackman -, c’est le flou permanent régnant autour des personnages principaux, qui touche à un véritable manque de respect : la question des liens familiaux est pour la première fois absente, tandis qu’on a souvent l’impression que les scénaristes ont purement et simplement « oublié » quels étaient les super-pouvoirs de chacun (ou bien on a affaire à une nouvelle équipe qui ne s’est pas donné la peine d’étudier le sujet ?). Pire, les personnages ne sont pas cohérents avec ce que l’on connaît d’eux, ce qui est terriblement décevant. Dans le domaine « politique », incontournable à cette période pré-électorale aux USA, on déplorera que, à rebours des opinions progressistes de Gerard Way, cette quatrième saison donne finalement raison aux théories farfelues des complotistes : c’est peut-être un détail, mais c’est quand même maladroit. Et, si l’on aime beaucoup le recyclage de l’idée des Wachowski pour Matrix, celle du métro permettant de passer d’une réalité à l’autre, qui est finalement mieux exploitée ici, on déplorera la figuration « monstrueuse » et stéréotypée de la purification » (The cleanse) qui abêtit et enlaidit totalement la conclusion.
Car, au final, même si c’est la langue française qui nous permet ce jeu de mot, « the end of the marigolds », c’est bien la « fin des soucis », non ? Pour l’humanité, mais aussi pour le showrunner de la série, bien en peine de poursuivre sur les idées de Gerard Way, et qui a fait plus ou moins n’importe quoi pour boucler son contrat !
Eric Debarnot