Rétrospective Martin Scorsese : 29. Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story by Martin Scorsese (2019)

Finalisé sur le tard, le petit frère de No Direction Home est, en apparence, un documentaire dont les composantes les plus étranges sont parfois réelles et dont les archives appuient le plus souvent ce qu’elles ne montrent pas. C’est aussi un singulier reportage sur les années soixante-dix, quand l’Amérique, tout comme Dylan, semble constituée de paradoxes.

Rolling Thunder Review Image
Bob Dylan – Copyright Netflix

No Direction Home n’a pas plu qu’au public, puisque Bob Dylan lui-même en fut satisfait au point de souhaiter confier à Scorsese un autre de ses projets. Le réalisateur est contacté par Jeff Rosen, le manager du chanteur, pour créer un métrage autour d’archives issues de la tournée Rolling Thunder Revue de 1975. Pensée par Dylan comme un moyen de revenir vers un public populaire, cette série de dates avait également été pour lui l’occasion de convier d’autres grands noms, donnant aux prestations des allures de grand barnum itinérant dont les concerts pouvaient servir de répétitions et les répétitions, de concerts. Chaque date devenait un événement à la limite de l’improvisation, où les artistes se partageaient la scène au gré de leurs inspirations et de leur spontanéité. Au rayon des têtes d’affiches, on reconnaît Joan Baez, Joni Mitchell, Roger McGuinn, Roberta Flack, Robbie Robertson, Allen Ginsberg, Dennis Hopper et Ronnie Blakely. Pour ne rien arranger, le groupe de scène qui accompagne Dylan est tout aussi hétéroclite. Howie Wyeth est à la batterie et Scarlet Rivera au violon, tandis que les guitares sont partagées entre T-Bone Burnett, Steven Soles et Mick Ronson.

Le filmage de la tournée avait déjà permis à Dylan d’écrire Renaldo et Clara avec Sam Shepard, mais bon nombre d’images demeurent encore inédites à l’orée des années 2000. Lors des premières discussions, peu de temps après la sortie de No Direction Home, Scorsese accepte le projet sans pour autant trouver le temps de s’y consacrer immédiatement. Il s’écoulera plusieurs années (et films) avant sa complétion, qui aura lieu peu de temps avant la sortie de Silence. Entre temps, le film a fait boule de neige. Rosen a réalisé plusieurs interviews à la demande de Scorsese, conférant au rendu des allures d’objet hybride entre documentaire, pastiche et fiction allégorique. Aux images d’archives captées en 1975 s’ajoutent donc de nouveaux témoignages, parmi lesquels on recense Sharon Stone, Anne Waldman, Jim Gianopoulos, mais aussi le sénateur Jack Tanner et un certain Stefan Van Dorp, réalisateur misanthrope et mal embouché qui revendique avec véhémence la paternité des images originales. Tiens, tiens…

Bien entendu, Dylan occupe une place de choix sur le banc des intervenants. En guise de préambule, il affirme ne pas se souvenir de grand-chose au sujet d’une tournée qui, selon lui, n’avait trait à rien de particulier. La suite lui donne à la fois raison et tort. Alternant détournement d’archives et anecdotes improbables montées de toutes pièces, Rolling Thunder Revue se révèle un fascinant portrait des années soixante-dix, où chaque chose semblait côtoyer son propre contraire. Ainsi, l’exercice en apparence comique du film est constamment ramené à un degré de réalité plausible. Les fans de Tanner for President peuvent sourire en voyant le sénateur expliquer comment un coup de fil à Jimmy Carter avait permis de faire innocenter Ruben « Hurricane » Carter ; il n’en reste pas moins que la chanson écrite par Dylan fut réellement importante dans ce dénouement. Van Dorp apostrophe Scorsese pour lui reprocher d’avoir altéré ses images. Quelque chose le dérange, comme si lui-même n’était pas censé apparaître dans toute cette histoire. Tout comme Sharon Stone, qui raconte comment l’année de ses dix-sept ans fut en réalité celle de ses dix-neuf ans, et la façon dont sa rencontre avec Dylan sembla jeter les dés de sa future carrière internationale sur grand écran. Tant de souvenirs pour, encore et toujours, brouiller les pistes et fournir à ce cher Bob de nouveau masques via lesquels montrer son visage indéchiffrable.

C’est Netflix qui prend en charge la sortie du projet en 2019, dans une Amérique présidée par Trump et traversée par la première grande épidémie d’un nouveau mal : les fake news. Un contexte étrangement propice aux facéties de Scorsese et de Dylan, qui prouvent une nouvelle fois qu’on peut toujours compter sur les menteurs pour rire de la vérité.

Mattias Frances

Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story by Martin Scorsese
Film américain de Martin Scorsese
Avec : Bob Dylan, Allen Ginsberg, Patti Smith, Joan Baez, Martin Von Haselberg…
Genre : Documentaire
Durée : 2h22
Date de distribution : 12 juin 2019 (Netflix)

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