« Les éphémères », d’Andrew O’Hagan : à la vie, à la mort !

L’amitié, la vraie, c’est celle qui des moments joyeux et des moments difficiles, c’est celle qui permet des sacrifices quand on en a besoin, qui permet de demander des services énormes. Si vous savez ce que c’est, vous avez de la chance ; sinon… bon, dans les 2 cas, lisez ce roman ! Il est important.

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© Jon Tonks

Avant même d’arriver chez nous, Les éphémères est déjà livre de l’année (The Guardian, The Spectator, The Sunday Times, Financial Times et l’Evening Standard) et a déjà reçu deux prix (le Christopher Isherwood Prize et le Waterstones Scottish Book Award). Il a déjà reçu des critiques absolument dithyrambiques (que le bandeau de couverture ne manque pas de rappeler, « inoubliable », « joyeux, beau et touchant »). Bon, les jeux sont faits. Difficile après ça de dire qu’on s’est ennuyé (non, on ne s’ennuie pas). Ou que ce livre n’est pas joyeux ni même pas très drôle. On nous permettra quand même de dire que cette amitié qui lie Tully et Jimmy, pour touchante et émouvante qu’elle soit n’est pas si drôle ou joyeuse ou alors d’une joie un peu désespérée, cette joie qui vous saisit quand vous avez fait ce que vous deviez faire pour l’ami que vous avez depuis 30 ans, y compris l’accompagner en Suisse pour l’aider à mourir. Parce que c’est quand même une partie importante du livre (sur laquelle la 4ᵉ de couverture jette un voile pudique), une partie importante de cette relation amicale. L’amitié, c’est à la vie-à la mort, et Andrew O’Hagan nous parle bien des deux.

Les éphémèresD’abord, la vie (la naissance de l’amitié). Nous sommes en 1984, en Écosse, et comme dans tout le Royaume-Uni, la situation économique et sociale n’est pas riante, c’est le moins qu’on puisse dire (ce qui nous rappelle que la peur du futur, l’idée même que le puisse ne pas exister ne date pas du changement climatique). Margaret Thatcher est au pouvoir depuis 5 ans, et son programme libéral fait des dégâts… (personne n’aura le temps de voir les bénéfices). Les mineurs britanniques, en particulier, ont engagé un bras de fer avec le pouvoir en faisant grève pour manifester contre la fermeture de mines de charbon déficitaires… Mais il y a l’amitié, et la musique aussi (et l’Angleterre de ces années n’est pas que le pays de Margaret Thatcher, c’est aussi un endroit où naît un nombre de groupes géniaux incroyable). Pour Tully et Jimmy, la musique sera le ciment de leur amitié, la raison d’un voyage à Manchester pour un concert inoubliable, unique, pour lequel il ne faut pas perdre son billet, le concert célébrant les 10 ans de la musique punk organisé par Factory Records au G-Mex. Eh bien, Jimmy perd son billet. Et Tully lui donne le sien (rassurez-vous, il verra quand même le concert). Mais grand seigneur, tout de même. C’est ça la vraie amitié, se sacrifier pour ses potes quand c’est nécessaire.

Et puis il y a le côté obscur de l’histoire, ce moment où l’amitié devient encore plus indispensable que pour un billet de concert perdu… 30 ans plus tard, Tully a un cancer, en phase presque terminale, il n’en a plus que pour peu de temps, il veut mourir dignement et demande à son ami, Jimmy, de l’aider à organiser son voyage vers la Suisse et vers l’au-delà. Et Jimmy s’en charge évidemment. C’est ce que raconte la seconde partie du roman, comment Jimmy prend contact avec les Suisses, et comment il gère les relations avec la sœur de Tully et surtout avec sa femme (qui est mise de côté – l’amitié est plus forte que l’amour – et se met de côté en refusant de voir mourir son mari). Comme le dit Tully : « ça été une sacrée virée », qui se termine avec deux gobelets, un terrain de foot et un sourire. Et nous, on a la gorge serrée, quand même.

Les éphémères, c’est un roman sur l’amitié entre Tully et Jimmy (Tully est peut-être l’ami qui vous marque à jamais ; mais Jimmy est quand même l’ami qui est là tout le temps). Un roman sur la jeunesse, et la musique (qui a été jeune dans ces années-là reconnaîtra le frisson qu’on pouvait éprouver à l’idée d’aller à un festival pour voir Cabaret Voltaire, The Fall ou A Certain Ratio). Un roman sur la force qu’il faut pour accepter de finir sa vie comme ça, avec dignité. C’est un roman riche. Dense. Fort, certainement.

Alain Marciano

Les éphémères
Roman d’Andrew O’Hagan
Traduit de l’Anglais (Écosse) par Céline Schwaller
Éditeur : Métailié
21,5 euros, 228 pages
Parution : 18 août 2024

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