Jaime Martín nous projette dans une tragédie paysanne du temps jadis, qui sublime blessures anciennes et amitiés nouvelles, superstitions morbides et authentique compassion.
Au milieu du XIXe siècle, la vieille Mara vit seule à l’écart du village, dans les Pyrénées espagnoles. Quand les médecins se font rares, chers et souvent impuissants, les guérisseuses et herboristes parcourent les vallées afin de vendre leurs productions.
Accompagnée d’un inquiétant loup aux yeux de braise, une mystérieuse jeune femme rousse fuit. À bout de forces, elle s’effondre aux pieds de Mara, qui la prend sous sa protection. En se livrant avec retenue, les deux femmes vont, peu à peu, s’apprivoiser et se libérer d’anciennes blessures. Bien que muette, la trop belle et trop richement vêtue Serena trouble la vie paisible des paysans, suscitant jalousies et ragots. Quand l’épidémie se déclare et que les villageois se retrouvent désarmés face à la souffrance des victimes et au risque de contagion, l’inconnue fait figure de suspecte idéale.
Le scénario de Jaime Martín est beau, complexe et, à l’image de son titre, sombre. Avec bonheur, il n’hésite pas à entremêler peurs, envies, souffrances, éléments fantastiques et enquête policière. Ses personnages sont bien campés et la multitude de détails justifient une seconde lecture. Sa montagne rappelle celle de Jean Giono. Par sa posture altière, le gendarme à cheval évoque le héros d’Un roi sans divertissement, hélas en plus obtus.
Le dessin associe une ligne claire à un trait plutôt épais, des décors précis et des aplats de couleurs qui privilégient les bruns et les mauves. Ses visages sont remarquablement expressifs et ses regards magnifiques. Il saisit aussi bien la jalousie que la tristesse ou, plus sombre encore, l’approche de la mort.
Jaime Martín se garde de magnifier la montagne, sa nature est hostile et sa terre difficile à travailler. Les villageoises ont les mains calleuses et les traits abimés. Il nous rappelle que, dans une société encore patriarcale et superstitieuse, la vie est dure pour les pauvres et les femmes, et bien plus dure encore pour les femmes pauvres. Une très belle histoire.
Stéphane de Boysson