« Une trajectoire exemplaire », de Nagui Zinet : Born to lose !  

Comment ne pas succomber à ce premier opus qui s’ouvre par : « Les amours ratent mais de peu, c’est ainsi que commencent les suivantes. ». Dans les quelques cent pages de ce roman dur (ainsi que l’entendait Simenon) nous suivons le parcours chaotique de N. un authentique pauvre type : est-ce assez pour tenir en haleine un lecteur ? Assurément oui !

ZINET-Nagui
© Francesca MANTOVANI

Le titre impeccable du premier roman de Nagui Zinet, Une trajectoire exemplaire, n’est pas sans nous rappeler celui de Pierre Autin-Grenier, Toute une vie bien ratée (Gallimard – 1997). Son incipit « Les amours ratent mais de peu, c’est ainsi que commencent les suivantes. » est sans doute le meilleur de la rentrée littéraire 2024. Il est édité chez Joelle Losfeld qui, coté écrivains – losers – magnifiques, en connait un rayon, notre primo auteur y côtoiera Albert Cossery, John Cheever et Richard Morgiève. Bref Nagui Zinet a vraiment tout pour perdre, pardon pour plaire.  Je vous invite d’ailleurs à aller flâner sur son compte Facebook qui nous permet de suivre les « emballements littéraires » du zigue (Irish, Goodis, Brown) ainsi que ses aventures personnelles, toujours palpitantes…On se demande même si ce n’est pas le double de N. le anti-héros nihiliste du livre que nous suivons, une mise en abyme ?

Une trajectoire exemplaireDès le prologue intitulé « Patrick Dewaere », le lecteur sait à quoi s’en tenir, on va être dans la série noire décalée, on nous annonce la couleur coté influences : Cioran, Fante, Dostoïevski, Fitzgerald, Celine. Est-ce que de tels maîtres littéraires suffisent à écrire un bon livre : assurément non…mais Zinet nous démontre dans la centaine de pages suivantes qu’il a bien digéré ses lectures, il nous délivre un style concis, efficace (comme Manchette) et surtout un vrai sens de la formule. Au hasard : « La mère de ta cousine vient de passer l’arme à gauche. Elle faisait une purée extraordinaire. », « ton répertoire est composé de gens morts, mariés ou de mères de famille – tout cela est abominablement proche. ».

Au-delà de la forme, il y aussi l’histoire, celle de Guyader un juge d’instruction pas au meilleur de sa forme sur les traces d’un certain N. dont nous allons découvrir l’existence au travers de son journal. Lui aussi il n’est pas dans de bonnes dispositions : « Fréquenter des êtres humains à longueur de journée te fatigue. » ou encore « Les étals ont disparu. Cela tombe bien, tu n’as besoin de rien. ». Fort heureusement tout n’est pas aussi noir, il y a encore la solution d’aller broyer du noir en s’enfilant des Picon-bières (assez noires aussi) dans son bar favori, Soulages sort de ce corps !

A force de fréquenter les bars – enfin un message d’espoir – il arrive qu’on tombe sur l’Amour, en l’occurrence Irène pour N. Elle a tout pour plaire : « Elle joue les premières notes de Mistral gagnant et toi, tu penses je suis chez une femme de quarante ans qui a du pognon, j’ai vingt-cinq ans et je n’en ai pas. ». C’est certes un peu court comme pitch mais tout ce qui va ensuite arriver à notre pauvre type, dont la vie se résume à faire des aller-retours entre son studio crasseux et les bars, part de là…et le lecteur lit tout cela avec beaucoup d’avidité malsaine, ne cessant de ricaner ou de trembler en pensant à la suite.

Nous suivons alors N. dans sa nouvelle vie, inspirée par Jean-Claude Roman, celui-ci se vautre dans ses mensonges pour conserver gîte et couvert chez Irène, parfaite bobo, le décalage avec ce qu’il est et ses nouveaux amis est évidemment abyssal : « Les soirées avec les amis d’Irène se multiplient. La plus belle est celle du deuxième tour de la présidentielle qui oppose un illustre inconnu à une illustre salope. ».

Personne ne sera surpris d’apprendre que tout cela va mal se terminer (cf. l’incipit) et que comme l’illustre Jean Claude Roman, l’engrenage du mensonge finit toujours par vous rattraper. Seul message d’espoir pour le lecteur optimiste, N. n’était peut-être pas aussi mauvais que cela et cela aurait pu marcher si la vie n’avait pas été aussi cruelle…

Nagui Zinet nous offre avec Une trajectoire exemplaire un premier roman à avaler de concert avec quelques Picon-bières dans un rade glauque du coin, on ne s’ennuie jamais, son style est des plus percutants et son mauvais esprit nous remplit d’aise. Nous attendons désormais la suite avec un roman et une intrigue pourquoi pas plus ambitieuse ? Recommandé.

Éric ATTIC

Une trajectoire exemplaire
Roman de Nagui Zinet
Editeur : Joelle Losfeld
112 pages – 15,5€
Date de parution : 29 Août 2024

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