Retour du Rock à Rock en Seine, et nous voilà donc à nouveau sur le pont pour suivre une journée riche en styles musicaux différents, et donc en émotions !
Après la pause « no rock » de vendredi, les choses sérieuses reprennent à RES. Des rafales de vent annonçant de possibles orages dans l’après-midi obligent le personnel du festival à arrimer certains éléments des scènes, retardant d’un quart d’heure environ l’ouverture des portes alors que le public trépigne.
16h : C’est à l’un de nos groupes fétiches, Sleater-Kinney, que revient le privilège (?) d’ouvrir la journée à la Grande Scène, devant un public largement indifférent et dans une atmosphère lourde annonciatrice d’orage (éclatera-t-il ou non ?). Le set de Carrie Brownstein et Corin Tucker, accompagnées par pas moins de trois musiciennes (dont on n’est pas convaincu qu’elles apportent grand-chose de plus !), démarre en demi-teinte, avant une montée en puissance progressive, peut-être trop progressive pour un public qui n’a pas la patience d’entrer dans cette musique complexe (faussement évidente, en fait). Comme toujours les parties de guitare sont superbes, balayant des registres différents d’un titre à l’autre, mais on a le sentiment que tout ça manque d’intensité… ronronne presque… La setlist, uniquement centrée sur la seconde vie de Sleater-Kinney, puisqu’un seul morceau antérieur à leur séparation en 2006 sera inclus, n’aide sans doute pas non plus… Et ce jusqu’à un final (The Center Won’t Hold, Untidy Creature) plus accrocheur, mais sans doute trop tardivement. Corin vient chanter au contact du premier rang, pour un conclure set de 45 minutes, décevant par rapport à ce que les filles ont l’habitude de livrer en salle.
17h25 : The Kills, c’est un sujet de désaccord en ce moment, depuis le concert de l’Olympia en mai dernier : la magie est-elle toujours là, en dépit de la faiblesse de pas mal des nouveaux titres, ou bien a-t-on affaire à un groupe en fin de course ? Malheureusement, le set peu convaincant de cet après-midi donnera du grain à moudre aux détracteurs du duo. Car, en dépit cet esprit « pur rock’n’roll » qui se dégage toujours de la présence physique de Jamie Hince et Alison Mosshart, il faut bien reconnaître qu’il ne s’est pas passé grand-chose sur scène pendant l’heure où The Kills y étaient, et que l’enthousiasme créé par l’introduction (Kissy Kissy et U.R.A. Fever) s’est assez rapidement érodé au long d’un enchaînement de titres pas assez forts : il nous semble d’ailleurs que les huit premiers morceaux interprétés étaient exactement les mêmes et dans le même ordre qu’à l’Olympia. Et puis le niveau sonore de la guitare de Jamie était insuffisant pendant une bonne moitié du set, ce qui est quand même un comble (problème « technique » réglé à mi-course…). Bon, on aime toujours autant les poses « rock » de nos deux protagonistes, leurs sourires permanents et leur joie visible à être sur scène. Mais, pour finir, qu’est-ce qu’on retiendra ? Un beau Black Balloon, et un enchaînement Doing It to Death / Future Starts Slow en conclusion accrocheuse. Un doute nous envahit…
18h25 : Courir le plus vite possible à la Scène de la Cascade pour ne rien manquer du set de Blonde Redhead, c’est alors notre mission, impossible mais accomplie. Blonde Redhead, c’est presque l’opposé de The Kills : voilà un trio (les frères jumeaux Amedeo et Simone Pace et la fascinante Kazu Makino) qui n’ont même pas besoin de titres connus, ou particulièrement accrocheurs, pour que « l’alchimie Blonde Redhead » fonctionne. Chaque morceau est l’occasion pour eux de dégager leur magie. Ce set, très convaincant, prend très vite l’allure d’un torrent continu d’émotion et de beauté, qui saisit progressivement l’auditeur. Au début, on se dit que c’est bien de l’indie rock des années 90, un peu standard, avec des titres qui se ressemblent parfois un peu trop (alors qu’ils sont extraits d’albums et de périodes très différents du groupe), et puis peu à peu, il y a une sorte de vague, de marée plutôt, qui monte. Chaque morceau va un peu plus haut, un peu plus loin, que le précédent, jusqu’au quart d’heure final, quasiment parfait. Les ambiances roses-bleues cotonneuses de la première partie du set ont peu à peu laissé place à des lumières plus blanches, exposant plus les musiciens. Kazu a quitté une partie de sa tenue en dépit de la pluie froide qui tombe depuis trois quarts d’heure (l’orage annoncé ne viendra heureusement pas !), et danse comme une poupée désarticulée. Et on est tous suspendus à la guitare d’Amedeo et aux cris perçants de Kazu. Et on voudrait que ça ne s’arrête jamais (à la différence de la pluie…). Mais Kiss Her Kiss Her, perle du dernier album, Sit Down For Dinner, annonce qu’il va être temps de se quitter.
19h30 : Après ça, et en sachant qu’on a certainement vu LE concert du jour, il ne faudrait pas manquer les Gallois dont on parle en ce moment, CVC, sur la scène Firestone, heureusement juste à côté. Non, il ne fallait absolument pas manquer cette troupe farfelue qui ressemble à un « groupe de mariage hétéroclite » – ils se qualifient eux-mêmes ainsi -, mais qui joue comme des dieux une musique venue des années 60 – 70. Une musique qui semble, entre leurs mains virtuoses, quelque chose d’à la fois très frais et éternel. On parle de blues rock, de pop classique, de chansons à boire… oui, d’une musique faussement simple, et pourtant terriblement satisfaisante. Le bassiste, avec son look totalement improbable, est renversant (le meilleur bassiste vu sur scène au cours de cette édition de Rock en Seine ?), et les deux guitaristes sont des tueurs qui nous régalent de soli enflammés tout en se fendant la poire. Chaque chanson a l’allure d’un classique qu’on connaît depuis toujours et qu’on reprend en chœur alors qu’on l’entend pour la première fois. D’ailleurs ces gens sont même capables de jouer quelques mesures d’Abbey Road sans être ridicules ! Et ils ont des fleurs accrochées à leurs instruments, et ils se volent des bisous devant nous. Le set de 45 minutes se termine sur les singles Sophie et Mademoiselle, avant un Docking the Pay en final qui fait parler la poudre. On se quitte avec la banane et des étoiles plein les yeux. Réconciliés avec la musique. Merci à CVC !
21h35 : … Et heureusement qu’on a accumulé de la bonne humeur avec CVC, parce qu’on sait que Massive Attack, ce n’est pas de la joie en barre ! Une bonne chose, toutefois, c’est que la forte « incompatibilité » entre les publics d’Offspring, qui jouaient avant, et de Massive Attack, rend l’accès à la barrière de la Grande Scène assez facile. Il sera donc possible de suivre le « spectacle » de Massive Attack dans d’excellentes conditions. On utilise le mot spectacle car Massive Attack, c’est, en plus de la musique, la projection constante d’images, de vidéos, remplies d’idées graphiques, et stimulantes. Mais également, comme ce sera le cas ce soir, qui servent à prêcher, avec beaucoup de lourdeur, des idées politiques : quelles que soient les opinions personnelles de chacun sur le conflit entre Israël et le Hamas, le fait que la dénonciation de l’attaque de la Bande de Gaza soit quasiment omniprésente dans la « com » de Massive Attack se révèle assez pénible. On n’a pas forcément envie que des artistes, aussi doués soient-ils, nous rabâchent pendant une heure trois quarts ce que nous DEVONS penser. Et puis, il y a eu ces déclarations complotistes, à propos desquelles on s’est interrogé sur leur premier ou leur second degré : en fait, il ne fallait manquer aucune « diapositive » projetée derrière la scène, pour ne pas tomber dans le panneau et penser que le groupe était devenu lui-même adepte de théories conspirationnistes !
Parlons plutôt musique, car, de ce côté-là, rien à regretter. Dans un format très rock et moins trip hop / dance, le set a retrouvé les sonorités agressives, presque cold wave de Mezzanine, et c’est un vrai bonheur. Et comme, parmi les invités aux vocaux, nous avons droit aux Young Fathers – ébouriffants -, à Horace Andy – un monument -, et surtout, surtout à Elizabeth Fraser – dont la voix sublime aura été le gros point fort du concert, et qui a repris le Song to the Siren de Tim Buckley -, nous sommes gâtés. A noter aussi une étonnante reprise d’un titre d’Ultravox (Massive Attack jouant une simple chanson « punk rock », ce n’est pas habituel !), et, pour les nostalgiques des magnifiques débuts du collectif, deux extraits du chef d’œuvre qu’est Blue Lines, Safe From Harm et Unfinished Sympathy.
Voici donc une très belle conclusion (sans même parler de la pluie qui s’est arrêtée avant le concert de Massive Attack) à une quatrième journée riche en émotions.
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil / Eric Debarnot (CVC seulement)
Bonjour
En accord avec cet article sur le raté des Kills et la lourdeur des vidéos de Massive Attack. Mais bon sang ! ce son de Massive Attack était impeccable, prouvant que leur musique a une part d’intemporel ! Les Blonde Redhead ont été très appliqués, même très émouvants en fin de set. Sinon, une mention à Kae Tempest, qui a embarqué son public, là-bas tout au fond sur la plus petite scène, dans un flow ciselé, poétique, communicatif. Sûrement une découverte pour pas mal de festivaliers.
On m’a dit en effet que c’était très bien, Kae Tempest. La frustration RES, c’est qu’on ne peut pas tout faire, où alors il faut ne voir que des morceaux de sets et accepter d’être loin de la scène. De mon côté, je fais en sorte de voir les concerts de la première à la dernière chanson et si possible (et ça l’est presque toujours) depuis la barrière pour « vivre » le moment et avoir un avis objectif.
Oui mais ce n’était pas un reproche hein ! Juste pour souligner ce talent incroyable qui s’est un peu plus révélé samedi. Merci pour votre boulot sur les concerts !
Je n’avais pas pris ça pour un reproche, rassure-toi. D’ailleurs, si on avait plus de rédacteurs faisant des concerts et prêts à écrire des live reports, on pourrait être plus exhaustifs ! A bon entendeur… :)
Compte rendu très fidèle y compris dans les ressentis. Une précision toutefois sur les messages de Massive Attack : les thèses conspirationnistes présentées sur les écrans étaient en fait tournées en dérision et dénoncées… mais c’est vrai que tous ces messages ont trop pollué leur magnifique concert.
J’ai eu une longue conversation sur ce point avec d’autres spectateurs dimanche, et ils m’ont aussi confirmé ça. Je vais corriger mon live report en conséquence. merci pour ton feedback !
Parler de « conflit entre Israel et le Hamas » montre bien que le rabâchage du groupe est nécessaire pour sortir du narratif du camp du génocide.
Il me semble pourtant avoir écrit clairement que chacun était libre de ses convictions, surtout sur un sujet aussi complexe que la situation au Proche-Orient, mais que je déplorais comme beaucoup de personnes l’ont fait que le « génocide dans la bande de Gaza » (je te cite, puisque tu tiens à ces termes) ait été exagérément gonflé au détriment de la musique. Nous défendons toujours chez Benzine les prises de positions et de paroles politiques des artistes et continuerons à la faire même quand nous ne partageons pas leurs vues, mais là, c’était donneur de leçons, péremptoire et lourdingue.
J’ai adoré Massive Attack et les visuelles, le fait de projeter des vidéos sur le conflit en Ukraine et le génocide à Gaza était parfait, retour à la réalité, on n’est pas d’accord, rien n’oblige à regarder!
C’était encore plus émouvant et touchant! Ils sont aussi libres que nous de donner leurs ressentis et leurs idées. D’en parler dans un pays où ou il est difficile de dénoncer ou de montrer ce qu’il s’y passe! Nous étions beaucoup à apprécier, quelques sois nos confessions (ou sans)!