« Nul ennemi comme un frère », de Frédéric Paulin : Dans le fracas de l’histoire

Nul ennemi comme un frère, le nouveau roman de Frédéric Paulin, raconte la guerre civile qui a plongé le Liban dans le chaos. D’une ambition folle, ce premier volet d’une trilogie évoque Ellroy ou DOA et confirme le talent d’un romancier qui explore le passé pour mieux comprendre le présent.

Frederic Paulin

Certains livres vous attrapent dès les premières lignes et ne vous lâchent plus. Nul ennemi comme un frère, le nouveau roman de Frédéric Paulin, en fait partie. En un peu plus de 450 pages, sans aucun chapitre, Paulin nous entraîne dans un récit complexe, dense, touffu. Mais il n’en fallait pas moins pour raconter les huit années qui ont plongé le Liban dans le chaos de la guerre civile, entre 1975 et 1983. Dans ce roman très documenté, qui évoque nécessairement le travail de DOA, Paulin dissèque ce pan de l’histoire contemporaine. Fiction et histoire s’entremêlent, personnages et personnalités bien réelles se croisent tout au long d’un récit aussi passionnant qu’exigeant. En effet, Nul ennemi comme un frère exige de son lecteur une concentration de chaque instant. Chaque ligne a son importance, chaque page nécessite toute notre attention tant cette intrigue riche d’informations tente de retranscrire l’incroyable complexité de ce conflit terrifiant.

Nul-EnnemiLa toile de fond est tragiquement réelle, le roman est ponctué d’événements historiques (comme l’assassinat de Louis Delamare, l’ambassadeur français au Liban, ou les terribles massacres de Sabra et Chatila), mais ils sont racontés à partir des destins de personnages de fiction. On suit par exemple le parcours de Michel Nada, un avocat qui fuit son pays pour la France afin de rallier la droite à la cause des Chrétiens du Liban, parmi lesquels ses deux frères restés combattre. A Paris, il rencontre Sandra Gagliago, fille d’un député proche de Charles Pasqua.

Philippe Kellerman travaille quant à lui à l’ambassade de France à Beyrouth. Il y rencontre Zia al-Faqîh, une jeune et belle interprète pour laquelle il éprouve des sentiments qui pourraient bien les mettre tous les deux en danger. Autour de ces deux personnages en gravitent bien d’autres : le chiite Abdul Rasool Al-Amine, le capitaine Christian Dixneuf des services secrets français ou encore le commissaire Caillaux, de la section antiterroriste des Renseignements généraux… Autant de personnages dont on va suivre les parcours tout au long de ces huit années. Huit années au cours desquelles la guerre devient le seul moyen de communication entre des communautés qui semblent irréconciliables. Huit années au cours desquelles la France de Giscard, puis celle de Mitterrand tente de peser sur un conflit qui finit par menacer son propre territoire.

Le projet romanesque de Paulin est d’une ambition folle – ce qui n’étonnera pas ceux qui ont lu sa formidable trilogie Ben Lazar (La Guerre est une ruse, Prémices de la chute et La Fabrique de la terreur), qui auscultait le terrorisme djihadiste en remontant à sa source. A la lecture de Nul ennemi comme un frère (quel titre magnifique !), on ne peut qu’imaginer la colossale documentation nécessaire à la construction d’un roman « plus vrai que ne le seraient les faits exacts ». Cette citation d’Ernest Hemingway, que l’on trouve en exergue du livre, exprime parfaitement ce que Paulin parvient à faire ici : partir de la réalité historique et y rester totalement fidèle, au point que tout semble vrai, y compris ce que le romancier invente.

Frédéric Paulin impressionne par sa capacité à divulguer le réel, à fournir une masse d’informations, sans pour autant sacrifier le romanesque. Car son roman a du souffle et il nous emporte littéralement dans les fracas de l’histoire. Ses personnages, riches, complexes, contradictoires, fascinent également par leur justesse. Paulin maintient un parfait équilibre entre un réalisme didactique (on apprend beaucoup en lisant ce roman) et un art du récit parfaitement maîtrisé. Nul ennemi comme un frère confirme donc le talent de Frédéric Paulin, et notamment sa capacité à utiliser le roman pour dévoiler des pans entiers de notre histoire. Roman après roman, il construit ainsi une œuvre salutaire qui nous aide à mieux comprendre notre époque.

Grégory Seyer

Nul ennemi comme un frère
Un roman de Frédéric Paulin
Editeur : Agullo
472 pages – 23,50 €
Date de parution : 22 août 2024

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