[Live Report] Rock en Seine – Jour 5 : such a perfect day !

Avouons que, arrivés à 13 heures sur le site, nous étions un peu fatigués en ce cinquième et dernier jour de festival, presque pressés d’en fini, en dépit d’un programme gargantuesque… Et pourtant, ce dimanche s’est finalement révélé l’une des meilleures journées que nous ayons jamais passées à Rock en Seine. Récit d’une journée « parfaite ».

2024 08 25 LCD Soundsystem Rock en Seine J5 (10)
LCD Soundsystem à Rock en Seine – Photo : Eric Debarnot

Dernière journée, dernière ligne droite pour l’édition plantureuse de Rock en Seine 2024, et la fatigue commence à se manifester. Heureusement, le programme est exceptionnel, trop sans doute, car les choix sont déchirants. Pour ce dimanche, afin de profiter au mieux du tiercé – qu’on espère gagnant – de GhinzuPJ HarveyLCD Soundsystem, nous nous cantonnerons à la barrière de la Grande Scène (ce qui nous permettra en outre d’assister à 21h30 à l’arrivée de la flamme paralympique, ce qui ne se produit pas tous les jours, et même pas tous les ans !), en faisant l’impasse sur bien des artistes formidables (Baxter Dury, Pixies, Dynamite Shakers, Bar Italia…), ce qui est un crève-cœur…

2024 08 25 Alias Rock en Seine J5 RG (2)14h20 : ALIAS, c’est surtout Emmanuel Alias, trublion et sympathique touche-à-tout, qui a fait le pari de mélanger tous les genres de musiques pour voir ce que ça peut donner. Il a débarqué avec son « band » de Montréal juste pour jouer pour nous (ils repartent le lendemain, nous confie Emmanuel), et son électro punk (sans guitare) / hip hop / rock slacker / etc. énervé mais souriant est vraiment le bienvenu pour lancer ce dernier jour de Rock en Seine. Son set démarre de manière convaincante, avec quelques débuts de crise de nerfs piquée sur des morceaux pas forcément violents, d’autant qu’Emmanuel est un showman empathique (voir son très appréciable hommage à sa grand-mère originaire de Saïgon sur le morceau du même titre). Malheureusement, quelque chose ne prend pas dans cette sauce difficile à doser, et on se détache peu à peu du set. Manque d’intensité ? Quelques titres moins accrocheurs ? Taille de la scène trop grande pour un groupe qui doit certainement mettre le feu dans des petits clubs ? Un peu de tout ça ? En tous cas, Emmanuel perçoit le manque d’excitation d’un public, il est vrai encore clairsemé à cette heure, et vient à notre contact, au premier rang, relancer la machine. La fin du set est un peu plus animée, avec un joli Evil Twin pour conclure, ce qui nous permet de nous quitter sur une promesse : celle de nous revoir !

2024 08 25 Giant Rooks Rock en Seine J5 RG (2)15h40 : Giant Rooks, on ne les connaît pas en France, mais vu le contingent de jeunes Allemandes surexcitées, voilà un groupe populaire outre-Rhin. Grosse ambiance donc – sous un agréable soleil d’après-midi, pour ces jeunes gens mignons et dynamiques, qui plus est sachant parfaitement maîtriser la scène (ils ont déjà pas mal tourné, apparemment, et ont ouvert pour de gros événements dans des stades).

« Le chanteur a une dentition parfaite, il sautille partout (au point de perdre son équipement son), et toutes les jeunes filles crient très fort » : ce commentaire pertinent partagé par une amie résume idéalement un set de 50 minutes, réjouissant de par son énergie et sa bonne humeur communicative. Par contre, là où on est un peu moins enthousiaste, c’est au niveau des chansons, plaisantes, mais pas vraiment frappantes en termes de mélodies, ce qui est quand même un must quand on veut conquérir le monde… Mais ne boudons pas les plaisirs simples : la toute jeune fille de 17 ans en nous a apprécié cette belle démonstration positive de jeunesse éblouissante.

2024 08 25 Ghinzu Rock en Seine J5 RG (1)17h25 : et si Ghinzu, en 2024, après plus de 10 ans éloignés de nos scènes, étaient en train de reconquérir leur position de meilleur groupe live du monde (même si le monde anglo-saxon, ignorant l’existence même de la Belgique, ne le sait pas…) ? En tout cas, en ce dernier jour de RES, après avoir ravagé les cœurs à l’Olympia, ils vont faire un hold-up sur le festival. Et nous offrir une heure (et cinq minutes de rab !) de pure perfection dans le genre. Après un démarrage surpuissant avec le formidable Blow, où ils ont donné une leçon à l’intégralité des groupes de post punk de la planète (oui, même votre groupe favori, quel qu’il soit !), John Stargasm et sa bande de fous furieux ont enchaîné les morceaux et même les genres musicaux, réussissant quasiment à chaque titre à atteindre un pic d’intensité effrayant (ou enthousiasmant, suivant les goûts). Les instruments sont constamment échangés entre les musiciens, le public remercié à chaque chanson pour son enthousiasme, et John Stargasm, pas autant en voix qu’à l’Olympia d’après ceux qui y étaient, a prouvé qu’être assis derrière un clavier n’était nullement une barrière pour un showman comme lui. Chez Ghinzu, tout semble naturel, tout paraît facile, tout est miraculeux : on est même dans la décontraction et le plaisir, ce qui est paradoxal quand on considère la force de la musique que jouent Ghinzu

2024 08 25 Ghinzu Rock en Seine J5 RG (2)

On regrettera peut-être que la setlist, centrée sur l’album Blow, délaisse certains grands morceaux de Mirror Mirror, mais c’est presque un détail. Car c’est 21st Century Crooners, instrumental gigantesque, qui retourne littéralement le public, qui met les larmes aux yeux, qui fait crier de plaisir. Et pour finir, le redoutable Mine, grand moment de violence ironique, mais pas anodine en ce moment (« Nice country ! I’m gonna take it from You ! »). Le public a atteint le point de combustion spontanée, mais c’est fini. Ou presque, ils reviennent pour une belle conclusion calme, Forever. La classe absolue (… même si on nous a répété que c’était encore mieux à l’Olympia !).

2024 08 25 PJ Harvey Rock en Seine J5 RG (1)

19h25 : Grosse attente vis-à-vis de PJ Harvey, après les superlatifs concernant son dernier passage à l’Olympia. Une grosse attente qui ne va pas être déçue (… même si, là encore, on nous répétera que c’était encore mieux à l’Olympia… Décidément !). Le set démarre en douceur avec une interprétation toute en subtilité de cinq morceaux du dernier album, I Inside the Old Year Dying, au milieu desquels sont intercalés trois titres de Let England Shake. Le groupe qui accompagne PJ, incluant le fidèle John Parish – discret pendant la première moitié du set -, joue avec une humilité et une élégance parfaites, permettant à PJ de poser un chant souvent très haut, avec une subtilité qui peut passer inaperçue (tout au moins pour ceux, et il y en a, qui ne sont pas sensibles aux charmes de la sorcière du Dorset) mais envoûte peu à peu. On notera une légère théâtralisation du chant, PJ se figeant une dizaine de secondes à la fin de chaque chanson, pour recevoir nos hommages… Ce n’est pas facile de maintenir le public dans le silence le plus absolu possible et avec le juste niveau d’attention quand on joue dans un festival, mais PJ est l’une des rares personnes capables de ce genre d’exploit…

2024 08 25 PJ Harvey Rock en Seine J5 RG

A mi-course, on passe aux « classiques » du répertoire, en se focalisant sur la première période de sa carrière, principalement les années 90. Avec l’ami Parish qui prend la guitare et réclame sa place de premier lieutenant… Même si, évidemment, les versions sont moins rêches, moins brutales qu’à l’époque, c’est un délice d’entendre jouer des 50 ft Queenie, Man-Size ou Dress : la voix de PJ descend dans les graves, et retrouve les intonations qui l’avaient, dès son apparition, distinguée du reste des Rockeuses. Et puis il y a ce final glorieux, qui nous met les larmes aux yeux : Down by the Water et l’immortel To Bring You My Love, deux chansons qui peuvent faire comprendre à tout le monde comment et pourquoi PJ Harvey est la plus grande chanteuse contemporaine dans le Rock (Bon, Patti Smith étant toujours là et active, peut-être la seconde plus grande chanteuse…). Un set tout simplement bouleversant.

21h30 : Petite rupture d’ambiance avec le passage de la flamme paralympique à la Grande Scène ! Un peu surprenant, même si les liens entre culture et sport ont été mis en avant / renforcés dans le cadre de ces derniers JO. En tous cas, tout le monde applaudit et sourit devant ce spectacle inhabituel. L’apparition dans la foulée d’une horde de journalistes accumulée entre le public et la scène va un peu perturber les 3 premiers morceaux de LCD Soundsystem, qui à…

…21h50, débarquent au milieu de leur imposant matériel amassé en cercle tout autour d’eux au centre de la scène. C’est original – ça rappelle un peu l’organisation de la scène de Godspeed You! Black Emperor… -, mais ça ne facilite pas la visibilité du public, d’autant que les lumières sont chiches, la plupart du temps. LCD Soundsystem se présentent ce soir – comme toujours – comme un assemblage de musiciens « rock » traditionnels (guitares, basse, batterie) et de musiciens (musiciennes, en fait) en charge de toute la partie électro. Et puis il y a James Murphy, qui fait du James Murphy, c’est-à-dire qu’il chante, dissimulé derrière sa main qui tient son micro plaqué contre son visage, et le reste du temps, glande sur scène, toujours près à importuner, à titiller, à moquer même ses petits camarades. Original, quand même.

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Après un Get Innocuous! qui semble une chute de studio de l’enregistrement du Remain In Light des Talking Heads, la première partie du set va être franchement électro, avec un enchaînement de sons de plus en plus puissants, de plus en plus intenses, jusqu’à culminer avec un Movement hystérique, parfaitement sublime. D’une puissance terrassante – d’autant que le son, heureusement, est très fort -, ce titre nous met définitivement à genoux. Et couronnerait presque LCD Soundsystem comme le groupe le plus impressionnant du festival. Se pose quand même la question, alors qu’on n’est même pas à la moitié du temps imparti, de comment est-ce que James Murphy va faire pour poursuivre après ça…

2024 08 25 LCD Soundsystem Rock en Seine J5 RG (1)La réponse est déroutante, inattendue, et quelque part typique du non-conformisme de Murphy : eh bien, il va tout simplement passer à autre chose, à d’autres musiques, sans chercher à dépasser, voire même à retrouver l’intensité de ce début de concert… Comme par exemple la longue réflexion – pleine d’ironie – du DJ cherchant à retrouver sa pertinence tout en passant en revue toutes les musiques (Rock pour beaucoup) qu’il a écoutées dans sa vie : Losing My Edge est une formidable profession de foi, mais également une déclaration d’amour (au second degré, certes) à la musique, entrecoupée de brèves « reprises » de classiques comme Ghost Rider de Suicide ou Don’t Go de Yazoo. Bien sûr, pour ceux qui ne connaissent pas le morceau, ou ne parlent pas anglais, ou ne s’intéressent pas à l’histoire du Rock, c’est probablement un tunnel éprouvant !

Ce qui est beau, aussi, c’est l’émotion et la tristesse que diffuse de plus en plus la musique, et la voix, de James Murphy, très affecté par la récente disparition d’un ami proche. Puis, quand on s’approche de la fin, et que, curieusement, les roadies commencent à retirer une partie du matériel (!), LCD Soundsystem se réduisent à un format purement rock, pour une version enflammée de New York, I Love You but You’re Bringing Me Down : loin, très loin des caractéristiques LoFi de l’original, Murphy nous offre un véritable pastiche de Morrissey ! Presque mieux que ce que fait Morrissey aujourd’hui ! C’est stupéfiant (même si on se demande quelle portion du public se rend compte de cette « private joke ») : la capacité de cet homme à copier / recycler les styles musicaux semble infinie. Comment lui en vouloir d’ailleurs, quand c’est fait avec autant de grâce, d’humour, et même avec ce soupçon d’effronterie qu’il met dans tout ce qu’il fait ?

Et Murphy nous quitte sur un All My Friends (ce titre qui ressemble à une chanson pop de The Killers parfaitement taillée pour Las Vegas !), crescendo parfait pour nous laisser, le cœur en joie, des étoiles plein les yeux et les oreilles bourdonnantes, rentrer chez nous…

… persuadés d’avoir vécu ce dimanche l’une des toutes meilleures journées que le Festival Rock en Seine nous ait jamais offert.

Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil / Eric Debarnot (uniquement en tête de l’article)

2 thoughts on “[Live Report] Rock en Seine – Jour 5 : such a perfect day !

  1. Bonjour,
    Merci pour ces compte-rendus – subjectifs mais toujours vifs.
    Fidèle lecteur, souvent aligné, je suis assez étonné par votre goût immodéré pour Ghinzu, dont je trouve la musique fade, impersonnelle, d’une vacuité sinistre. Au-delà, plus fondamentalement, deux observations sur ces reports :
    – votre positionnement « de groupie » en bord de scène vous donne une perception très particulière et partielle. Dans le cas de LCD par exemple la dimension visuelle essentielle n’est jamais mentionnée (alors qu’elle a construit en bonne partie la réception du concert par 90% de la fosse…).
    – 2e remarque de fond, je suis étonné que vous ayez finalement aussi peu couvert certains artistes rares, que vous défendez, et plus rares que certains traités. Par exemple, Astral Bakers et VoxLow
    ont délivré des prestations très solides, et soniques pour ces derniers, confirmant les espoirs placés en ces têtes de pont du rock hexagonal.
    Et Loverman a fait un concert très étonnant, belge en somme et en réalité, homme orchestre gesticulant et chantant, clown triste assez joyeux sortant littéralement de scène et de son concert trombone en main, direction le bar lointain.
    Une sortie des artistes unique !

  2. Sur la scène Cascade il y avait Baxter Dury et Yves Tumor déchainés, et surtout l’extraordinaire Roisin Murphy, un dimanche parfait avec l’usine à tubes LCD pour clôturer.

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